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tout de suite) ne contient que « des réflexions à l’état de notes, où sont fort malmenés les personnages qui ont occupé la scène à la fin du règne de Charles X. Puis, de 1831 à 1844, date extrême mentionnée dans le cahier vert, silence complet... Pendant cet intervalle de douze à treize ans, le cahier n’avait pas cessé de recevoir les confidences de Mme de Chateaubriand ; mais en 1848, à la mort de Chateaubriand, survenue dix-huit mois après celle de sa femme, une main brutale, exécutant la consigne dictée par une prétendue raison d’état, a déchiré les pages qui concernaient le règne de Louis-Philippe. »

Le cahier rouge, qui est donc le plus important des deux et le seul d’ailleurs qui soit publié, renferme des souvenirs dont le plus ancien date de 1804 et le dernier de 1825. Imprimé, il représente environ soixante-huit pages de texte in-8o. Sur les années 1804, 1805 et 1806, le manuscrit ne relate qu’un très petit nombre d’événemens ou d’impressions personnelles : la mention en est faite d’une façon sommaire, un peu sèche, sans la moindre composition; les notes datées de 1807 et 1808 sont au contraire très détaillées et nous font entrer dans la vie journalière de la Vallée-aux-Loups ; rien pour l’année 1809; huit pages seulement de 1810 à 1814; enfin, trente-sept pages du 1er janvier 1814 au 8 juillet 1815. On le voit, les proportions restreintes du récit et les lacunes qu’il renferme font paraître bien ambitieux le titre de Mémoires qu’on a voulu inscrire en tête de ces Souvenirs. N’était la relation du voyage de Gand pendant les cent jours, qui est presque un chapitre d’histoire, ce ne seraient même, à proprement parler, que des « Notes » utilisées plus tard dans la composition des Mémoires d’outre-tombe.

Ce point dûment établi, quel parti Chateaubriand a-t-il tiré des documens mis ainsi à sa disposition par sa femme? Y a-t-il eu vraiment collaboration de la vicomtesse? Nullement, si l’on entend par ce mot le travail commun de deux intelligences appliquant leur activité à la conception d’une œuvre, à l’établissement de ses lignes générales et à la composition de toutes ses parties. Or, dans le cas présent, rien de pareil : il y a eu apport de quelques souvenirs, et rien de plus. Les emprunts faits aux notes de Mme de Chateaubriand sont au nombre de cinq : le très joli récit du voyage à la Grande-Chartreuse (tome IV) et la description de la Vallée-aux-Loups (tome V) sont copiés presque textuellement dans le cahier rouge ; par quelques coupures ou de légères corrections, Chateaubriand a mis l’ordre qui manquait dans la narration originale. Pour la période des cent jours, les emprunts sont plus considérables, mais les retouches de style sont plus importantes. Je ne citerai