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la chute de la confédération sudiste, apaisant les rancunes, amortissant les ressentimens, calmant les douleurs, la vie politique américaine a repris toute son ancienne monotonie, républicains et démocrates se disputant le pouvoir, et les termes présidentiels se succédant et faisant passer tour à tour les uns et les autres de l’administration dans l’opposition. Sous cette teinte grisâtre, il y a toutefois quelque chose de vigoureux et de réconfortant dans le fond même du tableau. Voilà une constitution que les uns ont couverte d’éloges si pompeux et que d’autres ont déclarée si détestable, qui a été faite il y a cent ans pour une population de 4 millions d’habitans, et qui régit aujourd’hui, toujours immuable et plus solide que jamais, une population de 60 millions d’hommes, répartis sur un territoire quinze fois grand comme la France, vaste vingt-trois fois comme la Grande-Bretagne. Elle a résisté aux chocs les plus terribles, elle a permis de noyer dans un océan de sang le fléau de l’esclavage, elle a subi l’épreuve redoutable des interprétations les plus fantaisistes, servi des intérêts aristocratiques et des intérêts démocratiques ; les partis, dans leurs transformations successives, l’ont torturée en cent façons pour l’accommoder à leurs vues particulières du moment. Elle a triomphé de tous ces assauts et continue, après un siècle, à planer sur les destinées de la grande république, à protéger le développement d’une prospérité inouïe et d’une puissance formidable. Nous disons qu’elle est immuable[1], car elle n’a éprouvé aucune déviation essentielle depuis sa création. Œuvre d’une constituante, charte solennelle acceptée par les membres d’une confédération, elle n’a jamais été révisée au sens propre du mot. Un des compromis qui la composaient a été supprimé comme conséquence du fait brutal de la guerre, mais la suppression en a été effectuée par la procédure régulière de l’amendement, établie dès l’origine. Pas un homme politique, depuis cent ans en Amérique, n’a songé à inscrire sur le programme d’un parti national, comme article unique ou principal, le mot : révision. Il n’a jamais été déclaré fièrement par un groupe de politiciens à un président élu pour son terme de quatre ans qu’il devait « se soumettre ou se démettre. » Pas un

  1. Il n’est ici question, bien entendu, que du célèbre instrument fédéral, complément et couronnement du vaste édifice constitutionnel, formé par les constitutions particulières des trente-huit états. Celles-ci ont été souvent amendées ou entièrement refondues, et presque uniformément dans le sens démocratique. On en compte aujourd’hui cent-cinq depuis la déclaration de l’indépendance. Les trente-huit, actuellement en vigueur, sont de dates très diverses, depuis celle que le Massachusetts s’est donnée en 1780 et qui le régit encore aujourd’hui, après avoir, il est vrai, subi d’assez nombreuses modifications, jusqu’à celle de la Floride, adoptée par le peuple de cet état en 1886.