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du comité national républicain, le priant d’informer les membres dirigeans du parti qu’il désirait, pour des considérations entièrement personnelles, que sa candidature ne fût pas présentée à la convention convoquée pour le 19 juin à Chicago. Il estimait d’ailleurs que les chances du parti étaient très grandes s’il était uni, et il ajoutait :


... Il faut que le peuple américain choisisse une politique donnant au travail l’espérance et la dignité, au capital la sécurité et toute liberté de développement, à tout citoyen le pouvoir politique, à tout foyer le confort et l’instruction. C’est à ce dessein que je me dévouerai avec non moins d’énergie et de ténacité, comme simple citoyen, que si j’étais candidat à une fonction publique, et avec la ferme confiance que l’exercice du gouvernement sera rendu au parti qui a donné longtemps la preuve de sa capacité pour le faire servir à l’unité et à l’honneur de la république, à la prospérité et au progrès de la nation.


On ne crut pas tout d’abord en Amérique à la sincérité absolue de cette déclaration. Plusieurs journaux estimèrent que la lettre était assez ridicule, publiée en un moment où les clubs républicains étaient déjà en pleine activité dans tout le pays, organisés et contrôlés par des agens dévoués à M. Blaine et préparant le travail pour la convention. M. Blaine étant un politicien extraordinairement subtil, expert en toutes habiletés électorales, on ne pouvait pas supposer que le moindre de ses actes n’eût pas un sens mystérieux. On prêta à sa profession de foi de renoncement toute sorte de significations, excepté celle qu’elle comportait à première vue, c’est-à-dire un refus net et catégorique. Ses partisans les plus obstinés durent se rendre à l’évidence, lorsqu’il renouvela sa déclaration une première fois de Paris en mai, et quelques semaines plus tard d’Ecosse, à l’époque même où siégeait la convention. On prétend que, malgré ces refus anticipés et si répétés, M. Blaine eût accepté la candidature si elle lui avait été offerte par l’unanimité des délégués. Cela même n’est pas sûr, car il se peut que cet homme d’état distingué et supérieur se sentît fatigué et dégoûté des déboires passés de sa vie politique. De toute façon, l’unanimité n’était pas possible, le parti étant trop divisé. M. Blaine se savait lui-même un obstacle à l’union. Les indépendans, ces mugwumps si importuns, « barboteurs » insupportables, prêts à troubler tous les calculs, à ruiner les plus savantes combinaisons, auraient encore voté contre lui, comme en 1884, et décidé peut-être une seconde fois le succès de M. Cleveland. M. Blaine se serait présenté au combat chargé du poids d’une présomption de défaite.