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M. GEFFCKEN
ET
LE JOURNAL DE l’EMPEREUR FRÉDÉRIC

M. de Bismarck disait un jour : « Dans ma longue existence politique consacrée au service de mon souverain et de mon pays, j’ai eu l’honneur de me faire beaucoup d’ennemis. Pour commencer par la Gascogne, allez de la Garonne à la Vistule, allez du petit et du grand Belt au Tibre, cherchez sur les bords des fleuves allemand?, de l’Oder et du Rhin, vous trouverez que de tous les hommes d’Allemagne je suis le plus cordialement détesté, et j’en fais gloire. » Voilà une fière déclaration, et on pourrait croire qu’heureux d’avoir tant d’ennemis qu’il ne peut les compter, le chancelier de l’empire allemand se donne le plaisir de mépriser leurs brocards et leurs attaques, qu’il les livre pour tout supplice au sentiment amer de leur misérable impuissance, que s’il n’a pas le cœur tendre, il a du moins la générosité de l’orgueil, que ce lion magnanime laisse aboyer la meute et se consola de tout en contemplant ses terribles griffes. On sait pourtant qu’il n’en est rien, que le chancelier tient les moindres peccadilles pour des cas pendables, que personne ne l’a bravé ou dénigré impunément, que les imprudens qui jettent un pavé ou un simple caillou dans son jardin doivent s’attendre à payer cher leur audace, qu’il regarde la vengeance comme un morceau de roi.

A vrai dire, il n’a jamais l’air de poursuivre le redressement de ses griefs particuliers, ni de venger ses injures personnelles. Ce ne sont