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Dès ce temps aussi, les libéraux-nationaux avaient prétendu que le seul moyen de concilier l’unité avec la liberté parlementaire était d’instituer une chambre haute et un ministère responsable. M. de Bismarck avait combattu énergiquement leurs propositions ; en vain étaient-ils revenus à la charge, il avait opposé à toutes leurs instances un opiniâtre et inexorable veto. Alléguant qu’il n’oserait jamais demander à un roi de Saxe de se réduire à la condition d’un simple pair, il avait substitué à la chambre haute un conseil fédéral formé des mandataires des gouvernemens confédérés, divisé en commissions présidées par quelque ministre ou quelque haut fonctionnaire prussien, et dont les attributions principales sont de préparer les projets de loi et d’enterrer les projets dangereux émanant de la chambre élue. Quant au ministère responsable, il avait en toute occasion exprimé l’invincible antipathie que lui inspirait cette institution. Il avait affirmé qu’un ministère avec lequel il serait obligé de se concerter et de s’entendre serait pour lui le pire des embarras, qu’il avait éprouvé souvent dans le cabinet prussien combien et misérable la situation d’un président du conseil condamné à raisonner avec ses collègues, à les persuader, à les convaincre, que c’est le plus dur et le plus ingrat des labeurs, que les forces dépensées en frottemens sont des forces sottement gaspillées, que la Prusse se trouverait bien de changer sa constitution et de n’avoir désormais qu’un seul ministre responsable, qu’il fallait profiter de l’expérience pour organiser la confédération allemande plus raisonnablement que le royaume de Prusse. Il citait le proverbe qui dit « que deux pierres dures moulent mal, » et il en concluait que huit pierres dures frottant éternellement les unes contre les autres moulent plus mal encore. Le 16 avril 1869, il déclarait sans détour que le jour même où on lui donnerait un collègue, ce collègue serait son successeur.

Le Reichstag constituant, se rendant moins à ses raisons qu’à son autorité, en avait passé par tout ce qu’il voulait et lui avait attribué toute la responsabilité et du même coup tous les pouvoirs. À la fois président du conseil fédéral et son représentant auprès du Reichstag, le chancelier est aussi le seul mandataire responsable de son souverain. Il y a dans sa situation un mystère qu’il faut renoncer à éclaircir ; ce qu’on peut dire de plus net à ce sujet, c’est que le Verbe, qui est la source de la sagesse et qui produit le monde, est engendré par le Père et qu’il unit dans sa personne la nature humaine avec la divine. Ce qu’il y a de plus sûr encore, c’est que M. de Bismarck contrôle tout, dirige tout, et que, sauf le département militaire, qu’il abandonne au roi de Prusse, politique étrangère, politique intérieure, finances, commerce, impôts et le reste, tout est de son ressort. Un jour, il n’a pas craint d’affirmer qu’en ce qui concerne les affaires allemandes,