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était de la maison, de la famille ; on se voyait souvent ; M. le Duc fut favorablement accueilli de sa cousine, et peut-être ne l’eût-il pas trouvée cruelle, s’il n’avait fait à Mlle du Vigean le sacrifice de ses espérances. Aujourd’hui c’est l’amitié qui l’arrête. Un de ses braves lieutenans, un de ses camarades intimes, d’Andelot, est follement épris de la belle ; devenu, par la mort de son frère, héritier de la pairie de Châtillon, il déclara sa flamme, annonçant en même temps sa prochaine abjuration. On peut voir dans les lettres familières de d’Andelot à M. le Duc jusqu’où il poussait l’indifférence en matière de religion et la part que tenait le souci du salut dans cette résolution[1] ; mais il lui semblait plus facile d’obtenir la main d’Isabelle devant un autel catholique que dans un temple protestant. Qu’on juge de la colère de sa famille, de la douleur des églises ! Le petit-fils de l’amiral allant à la messe ! Le maréchal duc de Châtillon sortit de son flegme, fit des menaces terribles, expédia son fils en Hollande et l’y retint plusieurs mois ; mais toutes les contraintes, les exhortations des ministres ne firent qu’attiser le feu.

Un beau jour Coligny s’esquiva, enleva sa maîtresse ; contre des poursuites de pure forme[2], un refuge lui était assuré dans le gouvernement de Champagne. « J’ay procédé ce matin au saint sacrement de mariage en présence de tout Chasteau-Thierri, écrivait le héros de l’aventure à son jeune général ; nous partons présentement pour Stenay ; c’est de là que je vous promets d’illustres narrations[3]. » Le duc d’Anguien avait ouvertement protégé l’entreprise, qui valait mieux et réussit mieux que l’attentat de Bussy contre Mme de Miramion[4]. Il fut loyal ami ; c’est après la mort de Gaspard que son feu se ralluma et que Mme de Châtillon prit sur lui un funeste ascendant. Elle aura une grande part dans ses malheurs et dans ses fautes. Nous n’essaierons pas de retracer le portrait trop connu de la duchesse de Châtillon. Elle a eu la mauvaise fortune de figurer dans la galerie de Bussy et méritait d’être flagellée par cet impitoyable satiriste. Esprit solide, avec des vues, du jugement, cœur sec, malfaisante, elle nuira à tous ceux qui l’aimeront, Nemours,

  1. Ses amis espéraient alors « le remettre dans le bon chemin en faisant faire Marion huguenote. » (Toulongeon à M. le Duc, A. C.)
  2. Dans quelques pages charmantes, Mme de Motteville raconte comment Mme de Boutteville la mère vint demander à la Régente justice de l’enlèvement de sa fille, les larmes feintes de cette dame, ses cris, les efforts de Madame la Princesse pour paraître indignée, et comment elle finit par se mettre la face au mur pour cacher son envie de rire.
  3. Mars 1645. A. C.
  4. Voir t. IV, p. 292.