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que ses deux prédécesseurs. A la vérité, il excita autour de lui quelque étonnement; mais cet étonnement vint beaucoup plutôt de la mystification poétique qu’il exécuta avec tant d’adresse que de son génie véritable, que personne ne sut reconnaître, et dont on ne s’avisa que quelque vingt-cinq ans après sa mort, lorsque les nouveaux poètes, Coleridge en tête, l’eurent salué avec enthousiasme comme un de leurs maîtres.

Collins fut-il autre chose qu’un point de départ non aperçu, et mérite-t-il à un degré quelconque d’être appelé un initiateur? La question est de fort délicate nature. Son influence, qui semble avoir été nulle sur ses contemporains, les Warton exceptés, ne le fut peut-être pas autant sur quelques-uns de ses successeurs, et ici admirez comme le guignon, lorsqu’il a choisi une victime, sait varier à son égard méfaits et mystifications. Ces successeurs, dont quelques-uns lui ont fait des emprunts assez visibles, ou qui, tout au moins, ont puisé chez lui les germes de quelques-unes de leurs poésies, se sont arrangés pour le nier, ou pour le passer sous silence, ou pour parler de lui avec une dédaigneuse compassion. C’est en particulier le cas de Gray, qui, après avoir marchandé l’éloge à ses qualités, lui reprochait avec sévérité d’être incorrect et de manquer d’oreille. Eh bien ! il est évident pour nous que Gray s’est maintes fois souvenu de Collins. L’Ode au soir est certainement pour quelque chose dans les strophes de début de la fameuse élégie sur le cimetière de campagne, car quelques-unes des images ont une analogie assez frappante avec celles de Collins. Un emprunt plus considérable, et dont personne, je crois, ne s’est encore aperçu, c’est que l’idée de l’ode remarquable de Gray, intitulée le Voyage de la poésie, doit avoir été prise dans l’Epitre à Hanmer, où Collins raconte les voyages de la poésie à travers les siècles ; la seule différence, c’est que l’itinéraire de la muse est beaucoup plus complet et véridique chez Collins, qui ne passe sous silence ni l’Italie de la renaissance ni la France de Louis XIV, tandis que Gray conduit d’emblée la poésie de la Rome antique en Angleterre, où il arrête le cours de ses pérégrinations. Ce n’est pas avec dédain, comme Gray, c’est avec mépris que par le de Collins Chatterton, dont le caractère, s’il eût vécu, n’eût pas été probablement égal au génie, car le peu qu’il a eu l’occasion d’en laisser voir le montre enclin à la violence et à la malice satirique. Dans un ravissant paysage d’hiver à la ville intitulé Février, il commence par prier sa muse de lui permettre quelques dissonances : « Laisse-moi chanter comme chantent les chats à minuit ou comme chante Collins. » Les critiques, cependant, ont fait remarquer que vraisemblablement Chatterton a pris ridée première de ses Idylles africaines dans les Eglogues orientales de ce poète si méprisé, et que les superbes