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sollicitude, à réorganiser l’armée, dont les défectuosités et l’insuffisance s’étaient, pendant la campagne de Crimée, si manifestement révélées au grand jour. « Nous ferons de la bonne politique, écrivait Frédéric II à Podewils, car j’ai une bonne armée. » Mais, au lieu de s’en tenir à une suprématie que personne ne contestait, l’empereur inquiétait aussitôt ses alliés de la veille, l’Angleterre par ses coquetteries avec la Russie, et l’Autriche par ses compromissions avec la révolution italienne ; il allait à Stuttgart et à Plombières, et se jetait témérairement dans une formidable aventure, laissant ses frontières de l’Est à découvert, n’ayant pour les protéger que l’armée d’observation de Châlons, composée de deux divisions d’infanterie et d’une division de cavalerie, dont le commandant en chef, le maréchal Pélissier, au lieu d’être à son quartier-général, représentait la France à la cour d’Angleterre.

« Lorsque, en 1850, j’ai fait la guerre à l’Autriche, — disait l’empereur au mois de novembre 1867, après les amers déboires de Sadowa, devant le conseil d’état, auquel il demandait une loi militaire pour lui permettre de maintenir à la France son rang et sa sécurité, — j’ai mis sur le pied de guerre et mobilisé une armée de 150,000 hommes. Nous avons été vainqueurs. Si la Providence avait voulu qu’il en fût autrement, je n’avais pas de seconde ligne[1] ! » Il dut lui en coûter de faire un pareil aveu et de reconnaître, devant les premiers fonctionnaires de l’état, que pour affranchir une nation étrangère, qui déjà alors le payait d’ingratitude, il s’était engagé dans une grande guerre sans avoir sous la main une armée suffisante pour parer à toutes les éventualités !


XIII. — LES ENGAGEMENS DE LA RUSSIE ET SON ATTITUDE PENDANT LA GUERRE D’ITALIE.

Encore si l’empereur était revenu de Stuttgart avec un traité d’alliance offensive et défensive ; mais il n’en avait rapporté qu’un

  1. D’après la relation de l’état-major, les forces restées en France se composaient, disséminées sur tout le territoire, dépourvues d’artillerie et écrémées pur l’armée d’Italie, de 11 divisions d’infanterie, y compris les 2 divisions du corps d’observations et de 5 divisions de cavalerie sur le pied de paix. La formation de l’armée d’Italie fut des plus laborieuses ; commencée en mars, elle ne put entrer en ligne qu’en juin. L’artillerie, surprise en pleine transformation, dut faire des efforts prodigieux. Sur 60 batteries nécessaires, 25 seulement étaient prêtes au mois de janvier ; il fallut trois mois pour organiser les 35 batteries qui manquaient. On dut acheter à la hâte 24,000 chevaux, rappeler 10,000 artilleurs en congé, demander 4,000 hommes à l’infanterie pour le service des pièces et prendre comme conducteurs des cavaliers. Le grand parc et l’équipage de siège ne furent constitués qu’à la fin de juin. Les approvisionnemens et les munitions furent débarqués pêle-mêle dans le plus grand désordre à Gênes. L’artillerie n’avait pas été exercée au maniement des canons rayés, elle les emmena frais sortis des fonderies ; il en fut de même, en 1867, des chassepots : c’est à Mentana que leur effet foudroyant fut révélé à nos soldats.