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dont le commandement lui était réservé. Toutes les places fortes de la confédération étaient approvisionnées, munitionnées, et il entrait dans le plan des états-majors prussiens de porter deux armées, l’une sur le Rhin et l’autre sur le Mein, qui, réunies aux contingens des états du Nord et du Midi, eussent formé un effectif d’environ 500,000 hommes.

La sécurité de notre territoire était gravement en péril ; car, je le répète, nous n’avions que deux divisions d’infanterie et une division de cavalerie à opposer à une invasion allemande déjà secrètement concertée. La Prusse n’entendait pas, assurément, méconnaître brutalement ses promesses de neutralité tant que nous n’aurions pas subi d’échec, mais elle poursuivait une médiation armée qui, en réalité, était une menace pour la France, car la médiation armée suppose la volonté d’imposer la paix, et il était évident qu’en aucun cas, si ses propositions étaient rejetées, le prince-régent ne déclarerait la guerre à l’Autriche ; le cabinet de Vienne en était bien convaincu.

« Je crains, écrivait notre envoyé à Berlin, le marquis de Moustier, au comte Walewski, que vous ne trouviez dans mes dépêches des raisons de penser que nos bons rapports avec l’Allemagne sont dans un état précaire. Il serait difficile de dissimuler que, pour être maintenus tels quels, ils demandent la plus grande prudence et les plus grands ménagemens. Toute la situation est entre les mains du prince-régent, dont les intentions à notre égard sont mélangées de plus de préventions qu’on ne le pense. On s’accorde à le représenter comme très impressionnable et très vacillant dans les idées ; il serait à regretter que cela fût vrai, car jamais un prince n’eut plus besoin de fermeté pour rester maître des événemens. Il y a beaucoup d’agitation dans ses conseils ; en présence de l’état effervescent de l’Allemagne, on hésite entre suivre le mouvement ou le réprimer. M. de Schleinitz et M. d’Auerswald, tout en concédant la mobilisation aux idées du régent, s’efforcent d’en prévenir les conséquences, d’en atténuer les effets. »

La victoire de Magenta arriva, à point nommé, pour remettre nos affaires à flot et redonner du ton à la chancellerie russe, qui en avait grand besoin. Le moindre succès de l’Autriche eût rendu notre situation dangereuse. La Prusse venait de mobiliser, et l’Allemagne, frémissante, n’attendait qu’une défaite de l’armée française pour franchir le Rhin. Que serait-il arrivé si, au lieu d’être victorieux à Magenta, nous avions été battus 1 Heureusement que la fortune, si cruelle depuis, nous protégeait alors.

En voyant la balance pencher de notre côté, le prince Gortchakof secoua son inquiétante torpeur. Il intervint à Berlin auprès du régent d’une voix plus accentuée ; il n’admettait pas que l’Allemagne,