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aussi dans leurs mains qu’est remise la protection des fidèles chez les Grecs (Yavanas), les Kambodjas, les Gandhâras, c’est-à-dire en dehors même des limites de l’empire..

Cet empire, si vaste qu’il fût, était un théâtre trop étroit pour le zèle du maître. Sous son impulsion, la propagande, inspirée par une pensée purement charitable, rigoureusement désintéressée, déborde les frontières de la nationalité et de la langue, par de la cet horizon que les obstacles physiques semblaient avoir fait infranchissable pour les Indous. Dès son premier édit, il stimule le dévoûment des apôtres : « Munis de ce viatique, il faut vous expatrier en tous lieux, aussi loin que vous trouverez votre subsistance. C’est par (le missionnaire) qui s’expatrie qu’est répandu l’enseignement. » Les actions suivent les paroles. Il atteste qu’il y a eu déjà deux cent cinquante-six départs. Il faut que les étrangers (antas), il le répète à plus d’une reprise, soient instruits comme le doivent être dans l’Inde même les plus humbles et les plus grands.

C’est au lendemain de la guerre du Kalinga que les « conquêtes de la religion » lui étaient apparues les seules dignes d’être tentées, seules fécondes, seules exemptes de remords.

« Les conquêtes de la religion, voilà le bonheur du roi aimé des dieux, non-seulement ici, mais sur toutes les frontières, sur bien des centaines de milles. C’est Antiochus, le roi grec, et, au-delà, les quatre rois, Ptolémée, Antigone, Magas, Alexancke ; au sud, les Colas et les Pândyas jusqu’à Ceylan... Chez les Grecs et les Kambodjas, les Nabhakas et les Nabhapantis, les Bhojas et les Petenikas, les Andhras et les Poulindas, partout on suit les enseignemens religieux du roi aimé des dieux. Là où ont paru des envoyés du roi, on écoute ses instructions religieuses, on s’y conforme et on continuera de s’y conformer. C’est ainsi que la conquête s’étend en tous lieux... » Ce ne sont pas seulement des enseignemens que le roi prétend avoir portés si loin, mais des marques plus tangibles encore de sa charitable prévoyance. Partout, jusque chez « Antiochus, le roi grec, et chez les rois qui sont voisins d’Antiochus, » il se flatte d’avoir répandu des remèdes, des plantes médicinales.

Qu’il y ait de l’exagération dans ces triomphantes assurances, que l’excellent Açoka ait pris trop vite son désir pour une réalité, ou des rapports trop flatteurs pour la vérité, personne n’en doutera ; personne ne s’en peut étonner. L’illusion serait vénielle partout : elle est inévitable dans un esprit indou où la réalité et l’imagination ne sont pas séparées par une démarcation nette, où le fait et le rêve semblent toujours se pénétrer dans une conscience mal assurée. Pour Ceylan, une tradition indépendante, si chargée qu’elle