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rôle. Ces occasions de réjouissance étaient fréquentes. Les Propos rustiques s’ouvrent par une fête de village. Les plus jeunes se livrent aux exercices du tir à l’arc, de la lutte, du jeu de barre : spectacle plein d’attrait pour les vieillards, « couchés sous un large chêne, les jambes croisées, leurs chapeaux un peu abaissés sur la veuë, jugeans des coups, rafreschissans la mémoire de leurs jeunes ans, prenans un singulier plaisir à voir follatrer cette inconstante jeunesse. » Parmi ces anciens du village, un certain ordre est observé dans la manière de marquer les places. Les premières appartiennent aux plus âgés, aux plus considérés, aux mieux renommés pour « le bien labourer. » Ce respect d’une certaine hiérarchie entre vilains est un trait de cette société. Ce sont les propos de ces « anciens, » dont la vertu n’a rien d’ailleurs de farouche, que Du Fail se plaît à recueillir. Il nous montre dans ceux qui les tiennent autant de types villageois, qu’il nous fait connaître par quelque trait caractéristique dans la tenue et dans les gestes, d’une façon parfois si frappante qu’il semblerait que ces personnages avec leurs attitudes n’ont plus qu’à sauter sur la toile. — Celui-ci a un air d’importance, il tient à la main une baguette de coudrier et en frappe ses bottes liées avec des courroies blanches. C’est maître Anselme, un des riches de ce village, bon laboureur, et « assez bon petit notaire pour le plat pays. » — Et celui-ci avec sa grande gibecière, où sont ses lunettes et une paire de vieilles heures, c’est Pasquier, « l’un des grands gaudisseurs qui soit d’ici à la journée d’un cheval, et quand je dirois de deux, je crois que je ne mentirois point. » Aucun n’a plus vite la main à la bourse pour donner du vin aux bons compagnons. — Voyez-vous là-bas cet autre dont le bonnet est enfoncé en la tête, se grattant le bout du nez, et tenant un vieux livre, c’est l’ancien maître d’école, c’est maître Huguet, devenu bon vigneron, mais à qui son premier métier tient encore à cœur, si bien qu’il ne peut s’empêcher de chanter au lutrin quand vient le dimanche. — Un autre, assis près de lui, regarde par-dessus son épaule dans le livre : c’est Letauld, un autre gros riche. Ces gens-là vont parler à tour de rôle, et ils parleront souvent de façon à nous instruire plus qu’ils ne s’en doutent, et sur eux-mêmes et sur ce qui fait l’objet familier de leur entretien. On agitait déjà la question de savoir si le présent valait mieux que le passé. Que maître Anselme nous dise donc si les campagnards étaient en progrès ou en décadence ! La thèse de la décadence était alors plus généralement en faveur, même chez d’autres que des vieillards prenant pour signe de déclin leur propre affaiblissement. On pourra noter d’ailleurs que les sujets de plainte répondaient à des faits nouveaux, d’ordre moral et matériel, qui datent jusqu’à un certain point du XVIe siècle.