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crois pas!.. je doute de sa sainteté, je ne crois pas en ses jugemens, je ne crois pas en sa justice!..

Écoutez-moi, mes frères ; je vous prends à témoin, à l’heure de ma mort, afin que vous le sachiez, afin que vous puissiez l’attester un jour, quand vous retournerez là-bas!..

Il se redressa brusquement sur son séant, étendit ses deux mains décharnées vers les rayons du soleil, et cria à voix haute et sonore :

— Moi, misérable mourant, je te frappe d’anathème, ô Dieu! Je te jette à la face que tu es le dieu des lâches, le dieu des gens assouvis et repus, le dieu des viles brutes,.. et que tu m’as injustement persécuté!..


Dans la grande clarté du soleil qui montait toujours plus haut, éclairant cette couche de Lazare, l’aspect de ce squelette vivant, à la peau flasque, était effrayant.

Quand il retomba enfin, épuisé, anéanti, nous le crûmes mort, sans que nous ayons pu alléger, si peu que ce fût, ses souffrances.

— Prions pour lui, dis-je à mon compagnon.

Nous nous agenouillâmes tous les deux; d’une main tremblante je pris le livre que j’avais apporté. Il s’ouvrit à une place marquée jadis, le chapitre XV de l’évangile de saint Jean : « Je suis la vraie vigne, et mon père est le vigneron. »

Je commençai ma lecture à haute voix.

La poitrine du mourant se soulevait et s’abaissait par soubresauts ; il avait les yeux fermés. Et comme si le soleil eût voulu réjouir les derniers momens de ce misérable, il l’inondait de sa poussière d’or, se pressait contre lui avec amour, réchauffait son corps glacé, l’enveloppait de la caresse de ses rayons, pareil à une mère qui endort et apaise par ses baisers son enfant rebelle, en le calmant et le berçant.

Je lisais toujours; quand j’arrivai enfin à ces profondes paroles du Sauveur, si empreintes de force, de foi et de consolation, à ces paroles par lesquelles Jésus appelle à lui la multitude immense des petits, des pauvres, des faibles, des opprimés et leur dit : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous,.. » je vis soudain les yeux de l’agonisant s’ouvrir, et deux larmes, deux larmes lourdes, brillantes, les dernières peut-être qui restaient encore dans cet homme, rouler lentement le long denses joues. Et sur sa face noircie, ces gouttes tremblantes, que le soleil irisait, semblaient montrer à Dieu le reflet du feu intérieur qui avait consumé la vie de ce malheureux.

Je continuai :