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C’était bien renoncer à la thèse de la séparation de l’église et de l’état. Mais il faisait ses réserves sur l’ordre politique, donnant à entendre qu’à titre de citoyen français, il devait rester juge de la politique à laquelle il lui conviendrait de donner son adhésion. Malheureusement, c’était précisément de l’ordre politique qu’il s’agissait. C’est ici le lieu de demander si, en faisant cette réserve, Lamennais n’était pas en contradiction avec lui-même et avec toute sa doctrine antérieure, c’est-à-dire avec le système d’autocratie spirituelle qu’il avait réclamée pour Rome dans la première période de sa vie. Il avait donné pour règle suprême l’autorité, et l’autorité de Rome. L’autorité le condamnait ; donc il avait tort. Reste à savoir si l’autorité elle-même en exagérant son propre dogme, et en poussant à bout son ancien défenseur, ne le mettait pas précisément en face de la contradiction radicale de son système. C’est ainsi que les systèmes se retournent contre leurs auteurs et viennent se briser devant leurs propres conséquences. Est-il bien vrai, d’ailleurs, que le système de l’ultramontanisme, tel que Lamennais l’avait conçu, conduisît logiquement à de telles extrémités ? Non ; car lui-même avait jadis fait des réserves ; il avait dit qu’une autorité absolue du saint-père allant jusqu’au temporel était une invention absurde des adversaires de l’église, que jamais les défenseurs de la papauté, que Boniface VIII lui-même, n’étaient pas allés jusque-là ; et il se bornait à réclamer l’autorité du pape sur la part de spirituel mêlée au temporel. À la vérité, la limite était difficile à fixer ; mais, si loin qu’on la poussât, il y en avait une ; et la soumission absolue et sans réserve qu’on voulait lui imposer n’en fixait pus. Quoi qu’il en soit, Rome ne fut pas satisfaite ; et de plus en plus pressé par ses amis, Lamennais, qui avait un fond de faiblesse, malgré sa violence, finit par céder, et remit entre les mains de l’archevêque de Paris la renonciation absolue qu’on lui demandait et que nous avons citée.

Mais on sait ce qui arrive aux natures faibles, lorsqu’elles ont été obligées de céder à des obsessions trop pressantes. On se rappelle ce qui arriva à Lamennais lui-même lorsque des obsessions semblables, brisant sa volonté, en avaient fait un prêtre malgré lui. Le vieil homme se révolta ; un cri de désespoir s’échappa de son âme. Nous avons cité la lettre étrange, pressante, passionnée qu’il écrivit à son frère dans cette occurrence. Ce n’avait été alors qu’une révolte secrète et intérieure dont personne n’avait eu la confidence. Il n’en fut pas de même en 1833. Vaincu et humilié, Lamennais se laissa aller, par une réaction facile à comprendre, mais moins facile peut-être à excuser, à un acte de révolte et de colère qui retentit dans le monde entier. Il est difficile de justifier cet acte si l’on songe à la rétractation précédente ; il est difficile de