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en plus humaine. Mais les généraux allemands, dont la compétence en cette matière ne peut être contestée, nous ont enseigné plus d’une fois que la guerre la plus humaine consiste à faire à l’ennemi le plus de mal possible pour le décider dans son propre intérêt à implorer promptement la paix, et les partisans de l’arbitrage international sont fondés à en conclure que le seul moyen d’adoucir certains fléaux est de les supprimer. — « Eh! quoi, disent-ils, les habitans d’un même pays ont substitué depuis longtemps dans leurs relations réciproques un régime de justice et d’équité à l’état de nature. Est-il donc écrit que l’état de nature subsistera à jamais entre les peuples? Quand nous avons des difficultés avec nos voisins, nous ne pensons pas nous déshonorer en allant devant le juge. Pourquoi les peuples, se défaisant de leurs préjugés barbares, n’iraient-ils pas, eux aussi, devant un juge qu’ils auraient agréé ou choisi? C’est un usage à introduire, une habitude à prendre; il n’y a de vraiment difficile dans toutes les entreprises que les commencemens. »

Nous souhaitons que les orateurs du congrès de la paix répondent victorieusement à toutes les objections qu’on ne peut manquer de leur faire. On leur dira sans doute que leur proposition est de nature à être accueillie et goûtée des petits états, des gouvernemens faibles ; redoutant les hasards, ils sont portés à s’accommoder. Mais rien ne sera fait si l’on ne réussit à convertir les forts, si l’on n’obtient qu’ils renoncent à se faire justice à eux-mêmes, qu’ils consentent à se présenter, eux aussi, devant le tribunal sur un pied d’égalité avec les petits. Ils y consentiront, selon toute apparence, dans certains cas particuliers, quand il s’agira de questions insignifiantes ou d’un médiocre intérêt, dans lesquelles ils ont peu à gagner et encore moins à perdre. M. de Bismarck a soumis à l’arbitrage du pape son démêlé avec l’Espagne au sujet des Carolines, et cette condescendance d’un puissant et d’un superbe fit sensation. M. de Bismarck attachait peu d’importance à la possession des Carolines, et il tenait beaucoup en ce temps à se concilier les bonnes grâces du saint-père. Proposez-lui de soumettre à quelque arbitre que ce soit la question de l’Alsace-Lorraine, et vous verrez quel accueil il fera à votre indiscrète et insolente requête. M. Gladstone écrivait naguère au marquis de Riso que la question romaine lui semblait trop importante pour ne pas mériter l’intervention d’un arbitrage international. Quelle réponse eût-il reçue s’il avait adressé sa lettre à M. Crispi?

Une autre difficulté que devra résoudre le congrès est de savoir comment on s’y prendra pour donner quelque autorité à un tribunal d’arbitres et quelque sanction à ses arrêts, comment on lui