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cier, de l’école d’Anne Radcliffe ou d’Alexandre Dumas, a jamais inventé de telles et si singulières aventures, que nous n’en puissions rencontrer dans la vie ou retrouver dans l’histoire de plus singulières, de plus imprévues et de plus romanesques ? « La nature ne peut être améliorée par aucun moyen qui ne soit son ouvrage ; » même les monstres sont dans la nature ; et ce principe, qui est le fondement du naturalisme, ne l’est pas moins de l’idéalisme.

La division ne commence donc, la controverse ne s’engage, les écoles enfin ne se forment, ne s’opposent, et ne s’excommunient que sur la question du degré d’exactitude ou de fidélité de cette imitation. On doit imiter la nature, et, de cette obligation, tout le monde en tombe d’accord : mais, cette obligation, quelle part laisse-t-elle à la liberté ou à la personnalité de l’artiste, voilà tout le débat. Pour nous, sans y chercher plus de finesse ni de mystère, conformément à l’étymologie, dont les droits sont imprescriptibles, nous appellerons Naturalistes tous ceux qui considèrent l’imitation de la nature comme le dernier terme de l’art, et, réciproquement, nous donnerons le nom d’Idéalistes à tous ceux qui se servent des moyens de la nature pour exprimer l’idée qu’ils se font de ce qu’elle pourrait ou de ce qu’elle devrait être.

Il me paraît que ces deux définitions, très simples, ont quelques avantages. Car, d’abord, elles transforment une question d’esthétique, c’est-à-dire de sentiment, où chacun de nous est toujours suspect d’un peu de partialité pour lui-même, de complaisance pour ses goûts, pour ses opinions, pour ses préjugés, en une question d’histoire naturelle, et, par conséquent, de science. Il y en a qui ont des idées ; et il y en a qui n’en ont pas. Il y en a qui ne voient dans la nature que ce qu’elle leur montre d’elle-même ; et il y en a qui y ajoutent ce qu’ils trouvent en eux. Il y en a qui la trouvent assez belle, assez complète, assez parfaite pour borner leur ambition d’artiste à la reproduire : et il y en a qui prétendent la modifier, la corriger ou la perfectionner. Qui a tort ? Qui a raison ? Ni les uns ni les autres, puisqu’ils suivent tous leur pente, — je ne dis pas leur tempérament, — et qu’il n’est pas en eux, quand bien même ils le voudraient, d’être autres qu’ils ne sont. Concevez-vous George Sand écrivant l’Education sentimentale ? ou Flaubert écrivant Valentine ? Concevez-vous Courbet, l’autre Gustave, peignant l’Apothéose d’Homère ? ou le « père » Ingres, comme on l’appelait, peignant l’Enterrement d’Ornans, les Casseurs de pierres, les Demoiselles de la Seine ? et, si vous aimez mieux des exemples plus généraux, qui prouvent davantage, concevez-vous que l’école hollandaise n’eût eu qu’à le vouloir pour être l’école italienne ? ou nos romanciers, à nous, pour être les Anglais, l’auteur de Gil Blas pour devenir celui de Clarisse Harlowe, et Prévost pour être Fielding ?

C’est ce qui explique dans l’histoire la persistance et l’âpreté de la