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avec trois ou quatre autres, il était logé, blanchi, soigné, surveillé, avec place à la table, au feu, à la chandelle ; chaque semaine, il recevait de la campagne sa miche de pain, ses petites provisions; la maîtresse du logis lui faisait sa cuisine et raccommodait ses nippes, le tout pour 2 ou 3 livres par mois[1]. — Ainsi fonctionnent les institutions qui naissent spontanément sur place ; elles s’adaptent aux circonstances, elles se proportionnent aux besoins, elles utilisent les ressources et donnent le maximum de rendement avec le minimum de frais.

Tout ce grand établissement a péri, corps et biens, comme un navire qui sombre : les maîtres ont été destitués, bannis, déportés et proscrits; les propriétés ont été confisquées, vendues, anéanties, et ce qu’il en reste aux mains de l’État n’a pas été restitué pour être appliqué de nouveau à l’ancien service : plus maltraité que l’assistance publique, l’enseignement public n’a recouvré aucun débris de sa dotation. Partant, dans les derniers temps du Directoire et même dans les premiers temps du Consulat[2], l’enseignement est presque nul en France; en fait, depuis huit ou neuf ans, il a cessé[3], ou il est devenu privé, clandestin. Çà et là, en dépit de la loi intolérante et avec la connivence des administrations

  1. Cf., pour le détail de ces mœurs, Marmontel, Mémoires, I, 16; M. Jules Simon les a retrouvées plus tard et décrites dans ses souvenirs de jeunesse. — A la fin du règne de Louis XV, La Chalotais constatait déjà l’efficacité de l’institution. « Le peuple même veut étudier. Des laboureurs et des artisans envoient leurs enfans dans les collèges des petites villes, où il en coûte peu pour vivre. » — Cette extension rapide de l’instruction secondaire a beaucoup contribué à la révolution.
  2. Statistiques des préfets, Indre, par Dalphonse, an XII, p. 104 : « Les universités, les collèges, les séminaires, les maisons religieuses, les écoles gratuites, tout a été détruit, et, sur ces décombres, on a élevé de vastes plans d’instruction nouvelle. Presque tous sont restés sans exécution... Nulle part, pour ainsi dire, les écoles primaires n’ont été instituées, et celles qui l’ont été l’ont été si mal qu’il vaudrait presque autant qu’elles n’eussent pas été. Avec un pompeux et dispendieux système d’instruction publique, dix années ont été perdues pour l’instruction. »
  3. Moniteur, XXI. 644. (Séance du 18 fructidor an II.) Un membre : « Il est bien certain, et mes collègues le voient avec douleur, que l’instruction publique est nulle. » — Fourcroy : « On n’apprend plus à lire et à écrire. » — Albert Duruy. p. 208. (Rapport au Directoire exécutif, 13 germinal an IV.) « Depuis près de six ans. il n’existe plus d’instruction publique. » — De La Sicotière, Histoire du collège d’Alençon, p. 33 : « En 1794, il ne restait plus que deux élèves au collège. » — Lunel, Histoire du collège de Rodez, p. 157 : « Les salles de classes restèrent vides de maîtres et d’élèves depuis mars 1793 jusqu’au 16 mai 1796. » — Statistiques des préfets, Eure, par Masson Saint-Amand, an XIII : « Dans la majeure partie du département, il existait des maisons d’école, des dotations particulières pour les instituteurs et les institutrices. Les maisons ont été aliénées comme les autres domaines nationaux; les dotations provenant d’établissemens ou de corporations religieuses ont été éteintes. — Quant aux filles, cette portion de la société a fait une perte immense, relativement à son éducation, dans la suppression des communautés religieuses qui leur donnaient presque gratis un enseignement assez suivi. »