les moins robustes des premiers colons ; mais les vides étaient promptement comblés, et ceux qui restaient, vigoureux et résistans, c’était l’avenir, le germe d’un grand peuple. Puis, au contact de l’homme, le climat s’assainissait. La forêt reculait ; les nouveaux colons l’envahissaient, défrichant à leur tour, repoussant toujours plus loin la sombre muraille de verdure qui, lentement, s’effondrait devant eux, livrant à leur labeur un sol vierge, riche d’humus, ignorant du soleil et se parant, sous ses rayons, de moissons dorées.
La solitude se peuplait ; d’un toit on discernait un autre toit sous lequel des compatriotes, des coreligionnaires vivaient et travaillaient. On restait libre, indépendant, chacun dans son domaine ; mais on n’était plus isolé dans une sécurité précaire. En cas de danger, de maladie, d’accident, on pouvait s’entr’aider, se prêter main forte dans la lutte commune contre la nature.
Groupement rudimentaire, dans lequel chaque monade reste centre, se suffit à elle-même, et dont nous avons pu suivre, dans les portions récemment colonisées de la grande république, la naissance et le rapide développement : embryons de villages de pêcheurs, comme Yerba-Buena, avec ses 479habitans, devenu vingt ans plus tard une ville, San-Francisco, qui en compte 300,000 ; de campemens de trappeurs, comme Chicago, qui en possède 550,000. Ici, il n’en était pas de même. Le colon prenait pied, inconscient de ses forces, ignorant de l’avenir, absorbé dans son rude labeur de pionnier, élargissant son champ, et ne voyant pas au-delà. Mais si le champ s’étendait, si la famille s’accroissait, le foyer s’embellissait, devenait plus commode et mieux clos ; une civilisation relative s’y introduit le jour où, allégée d’une partie de son fardeau dont ses filles prennent leur part, la femme, la maîtresse de la maison a souci et loisir d’embellir son home, de cultiver des fleurs près de ses légumes, d’utiliser, le soir, à des travaux d’agrément, ces doigts agiles de jeunes filles occupés le jour aux travaux du ménage. Les fils chassent, et les dépouilles des fauves fournissent d’épais tapis ; le surplus des produits de la ferme s’échange contre ceux des fabriques d’Europe. La cabane devient une maison ; on ne campe plus, on demeure.
Dans ce monde en formation, les individualités et les aptitudes se développent, vigoureuses, sans contrainte. Toutes sont utiles, partant les bienvenues, toutes ont et trouvent leur emploi ; à quoi bon les contrarier et les astreindre à entrer dans une voie où elles donneraient des résultats médiocres ? L’indépendance n’est subordonnée qu’au devoir d’être utile, de contribuer au bien-être de tous, de faire œuvre d’abeille, non de frelon. Puis l’autorité subsiste : autorité du chef de famille devant laquelle tout plie, de la mère de famille, ménagère et éducatrice. Elle l’est et le demeure jusqu’au