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biens entre ses enfans, se félicitait d’être revenue à une vie simple, d’avoir réduit sa domesticité. et « de ne nourrir plus que soixante et dix personnes tant à la salle à manger qu’à l’office. « Il lui restait 6.000 hectares de terre, 4,000 moutons dont les toisons vêtaient son monde ; la laiterie occupait vingt-quatre femmes esclaves, dont chacune avait la charge de douze vaches et devait faire de douze à vingt-quatre fromages par jour. La résidence de la famille Lee, à Marblehead, avait coûté 10,000 livres sterling ; celle des Godfrey Malbone, à Newport, 20,000 livres sterling, sommes énormes pour l’époque. Le château de Wentworth, à Portsmouth, contenait cinquante-deux chambres.

Existence large et facile, d’une somptuosité primitive, mais qui laisse à la femme son cadre accoutumé, au mari et aux fils des loisirs consacrés à la chasse, à la pêche, aux courses de chevaux, aux sports athlétiques. Une race nouvelle grandit, qui s’estime d’essence supérieure, par le sang, la descendance, et aussi par l’habitude et la responsabilité du commandement, par le raffinement des manières, la prééminence intellectuelle et le culte, tout anglais, des exercices du corps. C’est elle qui bientôt, à ces titres divers et qu’on ne lui contestera pas, va fournir à l’Union américaine, le jour où elle se constituera, ses législateurs, ses hommes d’état et ses hommes de guerre, qui va gouverner, administrer, peupler le congrès et les camps, affirmer la suprématie du Sud sur le Nord, jusqu’au jour où cette organisation sociale, fondée sur l’esclavage, s’écroulera avec lui dans la plus sanglante des guerres civiles que le monde ait connue.

En attendant, ces colons du Sud préludent à leurs hautes destinées futures. Tout loyalistes et royalistes qu’ils soient par tradition, ils sont avant tout indépendans par instinct. Chez eux le fond primitif l’emporte sur l’accident. Ils aiment l’Angleterre, ils respectent le roi, mais ils sont Virginiens, et si, dans la guerre de l’Indépendance, quelques-uns restent fidèles à la mère patrie, le plus grand nombre s’en détache et s’arme pour résister à l’arbitraire, conduisant au combat et à la victoire ces colons du Nord qui les suivent et, reconnaissans, leur confieront la tâche de diriger les destinées troublées de la république qu’ils fondent sans le savoir ni le vouloir.

La lutte est héroïque et sanglante. Les femmes y poussent leurs maris et leurs fils, mais à cette guerre même donnent un caractère particulier. On y retrouve parfois les allures chevaleresques et courtoises de Fontenoy ; un parfum vague de l’antique aristocratie flotte sur ce berceau de la démocratie utilitaire. Deux colons virginiens, Washington et Lee, dirigent les armées de la république naissante ; à leurs côtés, les volontaires, presque tous