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embrasser l’homme et l’univers dans ses formules. Enfin, le nom même de l’école humanitaire et socialiste indique dans quel ordre d’études cette école s’était renfermée. Cet abandon universel du monde objectif, de la nature, explique le succès du positivisme. Il s’empara de ce bonum vacans. Le système d’Auguste Comte a donc l’avantage d’être une synthèse ; seulement c’est la synthèse des sciences plutôt que celle de la nature et des choses : c’est une logique supérieure plutôt qu’une cosmologie. De plus, c’est une synthèse sans principe : c’est une résultante, une préface générale des sciences, ou plutôt la réunion de toutes les préfaces. Lamennais, au contraire, a essayé, comme la philosophie allemande, de constituer une vraie synthèse philosophique comprenant la philosophie de la nature, la philosophie de l’esprit, la philosophie de l’absolu, cette dernière étant le principe des deux autres.

De cette manière de concevoir la science naît la méthode de l’auteur. Cette méthode est synthétique. Comme la philosophie de saint Thomas, elle va de la cause à l’effet, de Dieu à l’univers et à l’homme ; rien n’était plus opposé à la méthode philosophique moderne. Depuis Locke et Condillac, c’était de l’esprit humain que l’on partait ; et même on s’y renfermait. L’école française avait suivi la même méthode. Cette méthode avait ses avantages, et, au point de vue rigoureusement scientifique, peut-être était-elle préférable. Mais elle avait le défaut de laisser dans l’ombre l’unité des choses. Le besoin de synthèse auquel Lamennais essaie de répondre dans son système avait pour conséquence la méthode objective et déductive. C’est celle qu’indique notre philosophe. Elle consiste « à descendre des idées les plus générales à celles qui le sont moins, à suivre les principes originairement posés dans les différentes séries de conséquences où ils vont se ramifiant, comme les phénomènes dont ils représentent les causes. » Lamennais empruntait cette méthode à ses souvenirs de théologien, la philosophie théologique ou scolastique ayant toujours été une méthode déductive. Mais il la rajeunissait en l’enrichissant et en l’imprégnant de l’esprit moderne. En réalité, il partait d’une hypothèse à laquelle il faisait ensuite subir l’épreuve d’une sorte de confrontation avec tous les phénomènes de la nature.

La première antithèse fondamentale, avons-nous dit, est la synthèse du fini et de l’infini ; et le fini et l’infini ayant une notion commune, celle de l’être, c’est de cette notion commune, la notion d’être, qu’il faut partir. Cette idée d’être est à la fois la plus claire et la plus obscure de l’esprit humain. « L’être est à la fois ce qu’on voit et ce par quoi l’on voit ; » ce que l’on voit, car tout est être : ce par quoi l’on voit, car, pour percevoir un être, il faut avoir l’idée d’être. Lamennais tranche ainsi d’un coup le grand problème de