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estime… Jamais le rire ne donne à la physionomie un caractère de sympathie et de bienveillance… Il fait grimacer les visages ; il efface la beauté… Qui pourrait se figurer le Christ riant ? » Malgré ce réquisitoire contre le rire, Lamennais est obligé de reconnaître qu’il y a « un sourire de bonté, un sourire de tendresse, comme dans la Vierge Marie souriant à l’Enfant divin. » Mais il ne fait aucune part au rire joyeux et naturel qui vient de l’amour de la vie, et qui n’a rien de malsain. Il conclut de cette analyse que, si la tragédie a son origine dans les instincts sympathiques les plus élevés de notre nature, la comédie a son principe dans l’amour de soi, et que, par là, « sa tendance est opposée à celle d’où résulte le perfectionnement moral. » Voilà qui est bien sévère et qui n’est pas loin du paradoxe de Rousseau contre le théâtre. Il est permis de croire que, dans ce réquisitoire contre la comédie, Lamennais a subi le joug de sa première existence, de cette vie ecclésiastique qui l’avait éloigné du théâtre, et en particulier du théâtre comique. Il était trop tard, lorsqu’il se fut émancipé, pour se donner de nouveaux sentimens et de nouvelles émotions.

La poésie n’est pas ce qu’il y a de plus intellectuel dans l’art. Elle parle encore à l’imagination et au sentiment plus qu’à la raison. Elle ne découvre encore Dieu qu’à travers des symboles. Il faut que l’art se rapproche encore plus du vrai en soi, en exprimant les lois qui constituent l’essence de la divinité et les lois que la divinité impose à l’homme : c’est le dogme et la morale. Maintenant, ces deux grands enseignemens peuvent être exposés de deux manières : soit d’une manière abstraite et théorique : c’est la science ; soit sous une forme qui, tout en contenant plus de vrai rationnel que la poésie, s’adresse cependant encore au sentiment et à l’imagination ; c’est le dernier des arts : c’est l’éloquence. Les vues de Lamennais sur cet art ne contenant rien de particulièrement intéressant, nous nous contenterons de mentionner ici la fin de son esthétique.

En résumé, toute cette esthétique repose sur une idée ingénieuse et vraie. C’est que c’est du temple que tout art est sorti. L’art s’est successivement détaché de la religion. Mais l’art qui reproduit le mouvement de la nature, après s’être comme celle-ci séparé du divin pour vivre de sa vie propre, devrait aussi comme elle être soumis à une loi de retour qui le ramènerait au centre d’unité dont il est sorti. Sorti de la religion, il devrait y rentrer. Aussi Lamennais n’hésite pas à croire qu’il doit y avoir une foi future qui sera l’idéal de l’art dans l’avenir, comme la foi du passé a été son berceau. Il fait souvent allusion à cette foi idéale qui n’existe pas encore : « Espérons, dit-il, que la Providence, par une route ténébreuse,