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à bien, il eût fallu de la dextérité, de la souplesse et du temps. Joseph Il était plutôt capricieux et impatient. Ses bonnes intentions ne l’empêchaient pas d’avoir la main lourde, et son libéralisme était autoritaire. Il se heurta bientôt à une mauvaise volonté que le roi de Prusse entretenait sous main, quand il ne l’excitait pas. Il comprit vite qu’il ne triompherait pas de la force d’inertie qui paralysait l’empire. La Prusse en particulier ne pouvait se prêter au rajeunissement des institutions impériales que dans un seul cas : il aurait fallu que l’empereur lût aussi le roi de Prusse. Mais tant que l’empereur était en même temps le chef de la maison d’Autriche, l’intérêt de la Prusse voulait évidemment que le pouvoir de l’empereur demeurât ce qu’il était, c’est-à-dire nul.

Dans cette lutte, outre son prestige personnel et la supériorité de son génie, Frédéric II avait l’avantage de la position. Les projets de Joseph II offraient à la Prusse une occasion excellente de se rapprocher des états catholiques de l’Allemagne du Sud, auxquels cette puissance protestante et conquérante inspirait à la fois défiance et aversion. Frédéric II sut profiter des circonstances. Comme il l’avait déjà fait en 1744, mais avec plus de vraisemblance cette fois, il se posa en défenseur de l’intérêt commun et en protecteur désintéressé de la u liberté allemande. » La liberté allemande n’était rien moins que la liberté des Allemands. Dans la langue politique du temps, cette locution désigne l’état de l’Allemagne fixé par les traités de Westphalie : l’empereur réduit à l’impuissance et sa souveraineté devenue nominale ; le droit, pour tous les princes qui relèvent seulement de l’empire, de négocier séparément avec les puissances étrangères, de conclure des alliances ou de faire la guerre comme bon leur semble, de lever des impôts et de recevoir des subsides sans rendre de comptes à personne : en un mot, toutes les prétentions du particularisme, et la cause principale de la misère politique de l’Allemagne : « Quand Dieu veut châtier un peuple, disait K. von Moser, il n’a qu’à lui faire don de la liberté allemande. »

La persévérance n’était pas la qualité maîtresse de Joseph II. Découragé par le mauvais succès de ses efforts pour réformer l’empire, il renonça à ses projets. Aussitôt son inquiétude naturelle lui en suggéra d’autres. Pour suivre de plus près l’exemple de Frédéric II, son héros et son rival heureux, il chercha à arrondir en Allemagne même ses états héréditaires. Justement la branche de la maison de Wittelsbach qui régnait en Bavière allait s’éteindre. Joseph II songea à profiter de la succession pour réunir la Bavière à ses états, et offrit en échange les Pays-Bas autrichiens à l’héritier (le duc de Deux-Ponts). L’opération eût été doublement avantageuse pour la maison d’Autriche. Elle se défaisait d’une province remuante.