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d’autrefois et où elle pourrissait sans soleil et sans air. Les grands établissemens ont besoin de cours spacieuses, de dégagemens nombreux, de larges voies d’accès ; ce sont là des conditions de salubrité relative. Dans toutes les attaques contre le régime manufacturier, il y a beaucoup de préjugé et de convention : on se rappelle vaguement les informes et étroites fabriques d’autrefois, celles du début de l’industrie mécanique, quand les capitaux étaient rares et que des machines embryonnaires exigeaient peu de place. Il y a autant de différence entre ces chétives manufactures d’autrefois et les grands établissemens d’aujourd’hui qu’entre les anciens et mesquins bateaux où s’entassait un personnel nombreux de marins et les énormes steamers que nous voyons si habilement aménagés et tenus avec une si méticuleuse propreté.

La manufacture, toutefois, pourrait léser l’enfant, si le patron était avide et imprévoyant et les parens durs. Ce n’est pas que l’enfant fût toujours ménagé par la petite industrie : certains types qui tendent à disparaître, le petit ramoneur par exemple, qu’un appareil très simple va bientôt complètement évincer, émouvait, souillé de suie et d’apparence malingre, toutes les âmes sensibles. L’usine n’avait donc pas inventé pour l’enfant les tâches sales ou pénibles. Mais elle pouvait les rendre plus régulières, plus prolongées, plus assujettissantes. La législation y a pourvu dans la plupart des pays du monde, et elle a eu raison. L’enfant rentre incontestablement dans la catégorie des êtres faibles qui ne disposent pas librement d’eux-mêmes ; il peut être exploité par des pareils cupides. Le premier sir Robert Peel fut donc bien inspiré quand, par l’article 42, George III, chapitre LXXIII, c’est-à-dire en 1802, il réglementa le travail des enfans dans les manufactures de coton et de laine. Cette loi était, d’ailleurs, bien timide ; elle se contentait de restreindre, pour ces jeunes ouvriers, la journée à douze heures de travail. Dix-sept ans plus tard, en 1819, quand on amenda cette première mesure, on se montra encore singulièrement circonspect, en interdisant seulement l’emploi d’enfans au-dessous de neuf ans dans les mêmes établissemens. Telle fut l’origine modeste et discrète des Factory Acts qui se sont succédé en Angleterre au nombre de plusieurs dizaines et qui ont été imites par la plupart des nations du continent. Aujourd’hui, il n’y a guère en Europe qu’une contrée qui n’ait pas réglementé d’une façon générale le travail des enfans dans les manufactures, c’est la Belgique, qui s’est bornée à interdire d’employer les enfans au-dessous de dix ans au fond des mines ; c’est bien insuffisant. L’Italie s’est montrée presque aussi réservée que la Belgique. Elle se contente de prohiber le travail des enfans au-dessous de neuf ans pour l’ensemble des industries et, d’une façon particulière, au-dessous de dix ans dans les mines « au fond ; »