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patrie, que, ne pouvant régler leurs affaires de famille, ils s’occupent de celles du monde entier, que les dames de la halle aient remplacé les Longueville, les Chevreuse et les Montbazon. Quant à la dette nationale il ne fait qu’en rire, la traite de « mémoire de blanchisseuse, » engage ses amis à se montrer plus royalistes que le roi, leur prophétise un sceptre de fer et que le résultat de la liberté sera de fortifier partout l’idée monarchique, comme le spectacle de l’ilote ivre dégoûtait de l’ivrognerie les jeunes Spartiates. « On sautera dans l’histoire cent pages ennuyeuses de déclamation, et de Clostercamp, après avoir passé par quelques jolies fêtes du Petit-Trianon, et le bal paré pour M. le comte du Nord, on ira chercher de nouveaux combats et de nouveaux plaisirs sous un nouveau règne. Platon n’était pas bon à suivre, ni en amour ni en république. » Comme on voit, notre héros portait le poids et en quelque sorte la fatalité de sa gaîté insouciante.

Il espérait, lui, général autrichien, qu’on ne laisserait pas à la nation française le temps de s’aguerrir, il s’aperçoit de son erreur et reconnaît que le talent bientôt a remplacé la guillotine. D’Athènes, dit-il, la France a été à Sparte en passant par le pays des Huns ; d’ailleurs il pense qu’on verra plutôt des républiques devenir des royaumes que des royaumes devenir républiques, et, logique avec ses principes, ou, si l’on veut, avec ses préjugés, il soutient que, dans tous les grands momens de l’histoire qui se prolongent ou qui se fixent, tout tient à un seul homme ou à un très petit nombre. En tout cas, il y a une chose qui est définitivement perdue dans ce naufrage : c’est le goût. La vue des crimes a ôté cette fraîcheur, cette grâce, cette urbanité des mœurs de la nation la plus aimable. La république a mis à la place l’esprit de discussion et la fausse éloquence. Ce sera la France antiquaire au lieu de la France littéraire. Il se fait dans la société un brigandage de succès qui dégoûte d’en avoir. Si le XIXe siècle a infligé maint démenti aux prophéties politiques de Ligne, il lui donne gain de cause dans ses arrêts mondains. Il y a encore des gens de goût, il n’y a plus guère de goût, comme on l’entendait autrefois : ces mœurs délicates, cette politesse exquise, cette quintessence d’aménité sont encore l’apanage de quelques-uns, mais ne font plus en quelque sorte partie des vertus publiques, du patrimoine moral de la France.

Aussi bien n’admire-t-il pas davantage les ministres ou souverains absolutistes qui font de la révolution sans le savoir, expulsent les jésuites, compromettent leur propre cause par des réformes prématurées. « Ne dégelez pas les peuples froids, observe-t-il ; ils ont leur bon côté, et ce que vous leur donnerez gâtera ce qu’ils ont. La patience, la fidélité, l’obéissance valent bien l’enthousiasme, qui n’est jamais sûr ni durable. Pour une fois qu’il sera bien placé, il