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heureuse que lui fait l’immigrant jaune, et les gouvernemens, placés entre leurs intérêts et leurs engagemens, donnant par leur étrange conduite l’impression inquiétante qu’ils n’ont plus une notion très nette de leurs devoirs et des droits de l’étranger. Nous aurons à faire l’histoire de cette crise en détail ; nous aurons à en chercher les origines, les causes profondes et les conséquences. Nous serons amené ainsi à regarder en face ce que l’on a appelé le péril chinois, et à considérer les élémens de l’un de ces problèmes économiques qui prendront une importance prépondérante dans les destinées du monde.


I

Des scandales retentissans émurent l’opinion publique à New-York, point où convergent tous les convois d’émigrans partis d’Europe. Une enquête fut instituée en juillet dernier : elle révéla une situation alarmante à la fois pour le pays d’immigration, les États-Unis, et pour le pays d’émigration, l’Italie.

Le nombre s’accroît constamment des Italiens qui viennent chercher en Amérique un salaire élevé. La période de douze mois qui finissait en juin dernier en avait vu débarquer 51,000. L’enquête a prouvé que ces immigrans viennent surtout du sud de l’Italie, qu’ils sont ignorons, sans énergie, et qu’ils arrivent dans l’état le plus misérable. On sait que le gouvernement italien, loin d’encourager l’émigration, s’en préoccupe connue d’un mal à enrayer. Les immigrons appartiennent à une contrée de l’Italie insuffisamment peuplée, où leur disparition augmente encore la difficulté de la culture. Ils ne pouvaient payer le passage : il a fallu que quelqu’un leur en fournit les moyens. Qui donc a intérêt à monder le sol américain d’une nuée de misérables, véritables non-valeurs sur le marché de la main-d’œuvre, charge menaçante pour l’état ? C’est ce que l’enquête a révélé.

C’est une industrie florissante que celle d’importateur de cargaisons humaines : il existe en Amérique des entrepreneurs italiens qui ont en Italie des agens chargés de recruter des émigrans par tous les moyens. Le paysan ignorant se laisse séduire, embarquer ; sa volonté intervient à peine ; il arrive quasi inconscient à New-York ; il n’a rien eu à payer jusque-là ; il s’est engagé seulement à restituera l’entrepreneur le prix du passage, plus un intérêt léonin. Les compagnies de transport, par leur concurrence effrénée, facilitent ce genre d’industrie. L’entrepreneur n’attache guère d’importance à la valeur personnelle du sujet qu’il introduit : son unique souci est de lui trouver du travail assez longtemps pour qu’il paie sa dette. L’entrepreneur a déboursé 115 francs pour son passage,