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courant d’immigration n’est encore déterminé ; la découverte des placers en Californie n’attire pas tout d’abord le mineur jaune. Cependant les peuples d’Occident et à leur suite les États-Unis frappaient à coups redoublés à la porte de Chine et conquéraient à la pointe de l’épée le droit de pénétrer et de s’établir sur quelques points des côtes. En 1808, le gouvernement de Washington obtenait la libre entrée de ses nationaux en Chine, et s’engageait en retour à garantir aux Chinois sur son sol le sort de la nation la plus favorisée.

C’est alors que se produisit un mouvement considérable de Chinois vers la côte occidentale de l’Amérique du Nord. « On ne trouve encore que 42 immigrans en 1853 ; mais en 1854, le nombre eu monte tout à coup à 13,100 ; il redescend à 3,526 en 1855, puis 4,733 en 1856 ; 5,944 en 1857. Une poussée de 7,518 immigrans se produit en 1861. Ce chiffre se retrouve à peu près (7,214) en 1863. Puis la moyenne redescend et reste à environ 2,500 jusqu’en 1868. Cette année, et par suite du nouveau traité, il entre 10.684 Chinois aux États-Unis ; en 1869, les chiffres sont encore plus forts (14,902). Bientôt ils sont de nouveau dépassés : l’année 1873 voit entrer 18,154 Chinois ; il en vient 16,651 en 1874, 19.033 en 1875 ; 16, 879 en 1876. Enfin, après quatre années de dépression, nous trouvons deux totaux formidables : 20,711 en 1881 et 35.614 en 1882[1]. »

Le Chinois a dès longtemps connu toute la valeur de l’association ; l’organisation de l’émigration chinoise en Amérique en témoigne. Six grandes compagnies se sont formées, correspondant à six districts entre lesquels la Chine a été divisée. Dans chacun de ces grands districts, la compagnie, sous le contrôle des magistrats locaux, organise l’émigration. Elle fait savoir qu’elle se charge du transport de l’émigrant et de le ramener mort ou vivant. Une fois le Chinois débarqué à l’étranger, elle le suit dans sa lutte pour l’existence. Elle le soutient, lui avance des fonds, s’il est dans un pas difficile ; elle veille sur lui en cas de maladie, intervient s’il a des démêlés avec la justice ou un procès civil à soutenir. En échange de ces services, le Chinois verse à la compagnie 2 1/2 pour 100 de tous ses gains. Cette organisation, peut-être en partie imitée des sociétés de protection mutuelle et de vigilance formées par les colons européens dès les débuts de la colonisation en Californie, alors que l’anarchie régnait et qu’un état policé n’avait pas encore été constitué, — cette organisation donnait aux Chinois une force considérable : en 1876, ces six compagnies comptaient 148,000 membres.

La pratique adroite et disciplinée de l’association a puissamment

  1. D. Bellet, Rev. scient., 21 juillet 1888.