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ne peuvent suffisamment s’expliquer que par des causes aussi générales qu’elles-mêmes.

Je suis bien de cet avis. On a trop longtemps expliqué par l’influence de la race ou de l’hérédité, nous expliquons trop souvent encore aujourd’hui, des particularités qu’il suffirait peut-être d’avoir étudiées de plus près pour les expliquer autrement. Si, par exemple, les romans de Dickens, en général, et quoi qu’en dise M. du Pontavice, — qui ne connaît rien au-dessus de Dickens. — si le Magasin d’antiquités, si la Petite Dorrit, si Martin Chuzzlewit, si Dombey et fils sont mal composés, sans logique et sans art, un peu à l’aventure et au hasard de l’inspiration, dirons-nous, comme on l’a dit, qu’ils soient bien anglais en cela ? Mais nous savons assez que ni les romans « bien composés » ne manquent dans la littérature anglaise, quand ce ne serait que les meilleurs de ceux de Richardson où de Walter Scott, Clarisse Harlowe ou Ivanhoé, ni les romans « mal composés » dans notre littérature, à nous, où cependant la composition a toujours passé pour le premier mérite. Est-ce que les romans de Le Sage sont bien composés ? ou les romans de Marivaux ? ou tous les romans de Balzac ? ou tous ceux de George Sand, Valentine elle-même, ou encore Consuelo, la Comtesse de Rudolstadt, le Compagnon du Tour de France ? A vrai dire, les romans de Dickens ne sont mal composés que parce qu’ils sont tous ou presque tous improvisés ; parce qu’ayant adopté, comme la plus commode, la composition « à tiroirs, » le romancier l’a ensuite exploitée comme la plus lucrative ; et parce qu’enfin n’ayant jamais écrit, comme l’on dit, qu’avec son « tempérament », il n’a jamais eu d’un véritable artiste que les dons qu’on apporte et qui se fortifient par leur propre exercice, mais aucune ou bien peu des qualités qui s’acquièrent.

Est-ce peut-être encore le goût fâcheux qu’il a pour les combinaisons du mélodrame que l’on prétendra rapporter à son origine anglaise ? Comme si c’était en Angleterre que fussent nés les Pixérécourt, les Bouchardy, les Ponson du Terrail, les d’Ennery ! Mais ce qu’on dira, c’est que ce goût fut celui de son temps, aussi bien chez nous qu’en Angleterre, et dans le roman comme au théâtre, ainsi que le prouveraient au besoin les Mémoires du diable, de Frédéric Soulié, le Juif errant, d’Eugène Sue, les Mohicans de Paris, d’Alexandre Dumas, les Misérables, de Victor Hugo. J’ajouterai seulement qu’étant né « peuple » Dickens l’est toujours demeuré. Dans une société très aristocratique, ni ses succès n’ont adouci l’amertume des souvenirs qu’il a toujours gardés de sa misérable enfance, ni son talent ou son génie, si l’on préfère ce mot, n’ont jamais triomphé d’une ; certaine vulgarité de son éducation première. Il aimait du mélodrame les émotions fortes, comme il aimait du roman d’aventures jusqu’aux invraisemblances. Faut-il être Anglais pour cela ? Je n’en vois pas la nécessité. Ce goût pourrait m’étonner si je le rencontrais dans un fellow de