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province, de ville en ville, avec l’intention visible d’élever popularité contre popularité ! L’homme qu’on a choisi pour ce rôle est un Alsacien-Lorrain qui a été longtemps député, bien entendu député de la protestation, au Reichstag à Berlin, et qui, après avoir été l’objet des animadversions du gouvernement allemand, s’est décidé à rentrer en France, à redevenir citoyen français : c’est M. Antoine dont le nom n’est pas encore très répandu en France. Assurément M. Antoine ne peut qu’être le bienvenu dans la patrie où il vient redemander sa place. Le malheur est qu’il s’exagère peut-être un peu son rôle et qu’il dit honnêtement des choses qui ne sont pas nouvelles. Il veut bien nous assurer avec une naïveté un peu solennelle que l’Alsace-Lorraine est en deuil parce qu’elle redoute d’être oubliée, et que c’est pour cela qu’il a déposé son mandat au Reichstag, qu’il est revenu parmi nous. Il nous porte le cri des provinces perdues : « Haut le cœur français ! « Il veut bien ajouter aussi que c’est le centenaire, que c’est le moment de s’unir, de mettre fin à des déchiremens intestins, et au demeurant le dernier mot du programme par lequel il inaugure son rôle, c’est la concentration républicaine. C’est sans doute avec ce drapeau qu’il va faire la campagne qu’on paraît avoir préparée pour lui.

Il y a deux choses à remarquer dans cette entrée en scène d’un personnage inattendu. D’abord, il faut en convenir, ceux qui ont mis leurs espérances en M. Antoine ont fait preuve d’humilité. Ils ont avoué par cela même qu’ils ne pouvaient trouver parmi eux un homme à opposer à M. le général Boulanger, et ils n’ont cru pouvoir mieux faire que d’aller chercher un nouveau venu. C’est flatteur pour le parti républicain ! mais ce n’est pas là le point délicat. M. Antoine était, il y a peu de temps encore, député au parlement de Berlin ; il est aujourd’hui citoyen français, candidat, même candidat d’un ordre exceptionnel, si on en croit ses amis. Il ne déguise rien de sa pensée, et par la position qu’il se fait ou qu’on lui fait, par son langage, il n’y a point à s’y méprendre, il pourrait susciter des questions sur lesquelles la France, sans rien oublier, garde cependant le droit de réserver ses résolutions. Il peut mettre notre gouvernement dans l’alternative de paraître résister à des mouvemens plus généreux que réfléchis ou de se laisser entraîner au-delà de ce que voudrait l’intérêt public. C’est dans tous les cas un incident qui sera exploité contre la France. Franchement, il y a toujours assez d’embarras inévitables sans y ajouter les embarras qu’on pourrait éviter.

Oui, sans doute, c’est l’année du centenaire, de l’Exposition, comme on le dit ; c’est aussi l’année des difficultés les plus sérieuses, une année où un ministère né d’hier a tout à la fois à faire face aux mobilités ou aux entraînemens de l’opinion, aux incohérences d’une chambre épuisée, en même temps qu’à ces accidens financiers qui, en ébranlant