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engagée il y a quelques mois à peine contre un des principaux agens britanniques, sir Robert Morier. Le chancelier a tout l’air de traiter l’Angleterre un peu sans façon, de compter beaucoup sur la longanimité des ministres de la reine. Il ne craint pas, quand il y est intéressé, de racheter ses brutalités par quelques cajoleries, et pour qu’il ait envoyé à Londres son fils qui a été le ministre de ses violences contre sir Robert Morier, il faut qu’il ait mis un certain art à préparer cette visite ; il faut aussi qu’il ait eu ses raisons. Évidemment M. de Bismarck a senti le besoin de se rapprocher plus intimement de l’Angleterre. Il a déjà réussi à entraîner bon gré mal gré les Anglais dans cette expédition de Zanzibar qui est loin d’être finie, qui prépare peut-être plus de complications et de déboires que d’avantages ; il espère encore visiblement se ménager l’appui des ministres britanniques dans l’affaire de Samoa, et, avec cet appui, pouvoir tenir tête aux Américains dans la conférence qui va s’ouvrir. Le chancelier disait il y a quelque temps, non sans une certaine hardiesse dans son parlement, que l’Allemagne et l’Angleterre marchaient d’un même pas dans cette affaire de Samoa, qu’elles étaient absolument unies. Ce n’était point du tout exact. M. de Bismarck prenait tout simplement ses vœux pour la réalité ; le « Livre Bleu, » récemment publié à Londres, prouve au contraire que lord Salisbury s’est hâté de décliner toute solidarité avec l’Allemagne dans ces aventures de Samoa. - Ce qui n’était point exact il y a quelques semaines a pu cependant ou peut le devenir aujourd’hui. C’est précisément pour cela, c’est pour obtenir, pour conquérir l’appui de l’Angleterre dont il a besoin, que le chancelier a sans doute envoyé son fils ; il a tenté un dernier effort, et il n’est point impossible que le ministère anglais, qui a depuis longtemps d’inépuisables faiblesses pour l’Allemagne, ne finisse par céder, d’autant plus qu’il pourrait espérer lui-même s’assurer ainsi la bonne volonté du chancelier dans les affaires d’Egypte. C’est un échange de services sur lequel M. de Bismarck paraît compter pour faire oublier des incidens et des procédés qui ont pu dans ces derniers temps émouvoir les susceptibilités anglaises.

On dit aussi, il est vrai, que le comte Herbert de Bismarck, qui avait à se faire pardonner dans la société anglaise les procédés de son père, porterait dans sa valise d’autres propositions, que la question de Samoa ne serait qu’un détail, qu’il s’agirait de faire entrer l’Angleterre dans la triple alliance, dans la coalition du continent ; mais ce n’est qu’un bruit, une histoire de journaux à la recherche des grandes combinaisons. Les propositions de ce genre sont tellement contraires à toutes les traditions de la politique anglaise, qu’elles auraient peu de chance d’être accueillies, fût-ce par un cabinet qui pratique si bien l’oubli des injures, qui ne demande pas mieux que de garder les