Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/829

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accusateurs dans le vieux monde ; vous nous reprochez notre corruption matérielle ; du moins, elle n’est pas subversive. La vôtre corrompt ou détruit les sources de l’intelligence et du bon sens. Nos déclamations, inhérentes au métier, ne vont presque jamais à rebours de la raison. Nous achetons les électeurs au prix courant, mais sans décapiter le jugement du peuple, ni troubler irréparablement son juste discernement des choses. Si vos ambitieux et vos lettrés d’Europe n’achètent jamais rien de leur propre argent, ils prodiguent à outrance les deniers publics et les dépenses du budget en vue de leur succès électoral. Ils savent bien d’ailleurs s’emparer des places et des profits pour leurs amis, leurs partisans et eux-mêmes. Leur grand moyen est de corrompre le suffrage populaire avec des idées fausses, d’irréalisables promesses, des utopies fascinantes, accompagnées de falsifications historiques, économiques et politiques, qui font perdre l’exacte notion des réalités, et aveuglent toute clairvoyance jusque l’affolement général et irrémédiable. Nous ne subissons pas en Amérique cette inoculation de faux principes, amenant les faiblesses coupables et les transactions humiliantes. Nous avons nos socialistes, qui prêchent les plus dangereuses doctrines. Mais en face de leurs tentatives criminelles, notre esprit conservateur s’affirme au besoin avec une inflexible sévérité. La rigueur des exécutions de Chicago a montré que chez nous l’administration, le jury et la presse d’opinions diverses n’entendaient pas raillerie sur ce sujet et n’hésitaient pas à protéger sérieusement les obscurs et dévoués défenseurs de la société.

On pourrait s’interpeller longtemps d’une rive de l’Atlantique à l’autre. Les démocraties républicaines des deux mondes n’auraient-elles plus qu’à discuter entre sœurs le meilleur système de corruption comparée ? Il faudrait un conservatisme pur de tout alliage, un gouvernement qui ne laissât d’excuse ni aux corrupteurs ni aux corrompus. Naguère, sans le recours affligeant aux châtimens ou à la corruption, les citoyens de New-York ont mérité des éloges exempts de réserves. Lorsque M. Henry George brigua les fonctions de gouverneur, sa candidature socialiste échoua par l’alliance des deux partis conservateurs, des deux droites américaines qui s’unirent contre le péril social en pratiquant le jungamus dextras de Victor Hugo.


v

Si froidement que l’on veuille étudier les grandes questions débattues chez les nations étrangères, comment se défendre de la