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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 92.djvu/873

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Cologne ne veulent regarder notre monde de damnation. Les robes ont, pour égayer nos yeux, des tous chauds et vifs ; les chairs sont d’une pâleur presque blanche, éclairées d’une mystérieuse lumière intérieure.

Tel est cet art de Cologne : exquise fleur de beauté mystique, mais trop frêle et trop délicate, semble-t-il, pour rester longtemps épanouie. Or il se trouve précisément qu’elle a fleuri près d’un siècle. Pendant un siècle les peintres de Cologne ont naïvement essayé de représenter les rêves de leur foi, et leur foi n’a rien perdu de su calme et souriante sérénité. Alors que déjà l’art réaliste des Van Dyck avait envahi l’Allemagne, en 1450, il se trouvait à Cologne des artistes pour continuer à peindre les vierges mystiques, pour dédaigner de sacrifier à l’observation consciencieuse de la réalité leurs naïves visions intérieures. Et loin de s’affaiblir, pendant ce siècle, le courant idéaliste n’a point cessé de devenir plus fort et plus exclusif.

Des maîtres du XIVe siècle, un seul nous est connu : le premier en date, sans doute, maître Guillaume de Merle, mort en 1378[1]. Il est certainement l’auteur des fresques du dôme de Cologne, aujourd’hui presque toutes perdues. On peut aussi le considérer comme l’auteur d’un grand tableau d’autel à nombreux compartimens, provenant de l’ancienne église de Sainte-Claire, et transporté depuis dans la cathédrale. Ce soin des scènes d’une variété surprenante, avec une grâce tranquille de formes et une tendresse ingénue d’expressions : la Vierge et saint Joseph baignant l’enfant Jésus ; la Fuite en Égypte ; l’Adoration des Mages, charmantes compositions où la profondeur du sentiment s’allie à un choix d’harmonieuses couleurs et à une sûreté de trait qui dénote un maître.

Guillaume étant, de tous les peintres de l’ancienne école de Cologne, le seul dont on connût le nom, on n’a pas manqué de lui attribuer tous les tableaux de cette école. Devons-nous, avec M. Janitschek, reconnaître sa main dans les deux Vierges de Nuremberg et de Cologne ? Ce sont, à coup sûr, deux chefs-d’œuvre où se retrouvent toutes les qualités de l’Autel de Sainte-Claire ; mais il nous semble que, au point de vue de l’expression connue à celui de l’idéalisation des figures, ces deux vierges représentent un progrès sur les ouvrages authentiques de Guillaume. À plus forte raison refusons-nous d’attribuer à ce peintre les deux sainte Véronique, de Munich et de Londres, œuvres d’une poésie plus subtile,

  1. Voir, sur cette première école de Cologne : J. -J. Merlo, Die Meister des altkölnischen Malerschule. Cologne, 1852.