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représentent le mieux cette troisième manière du peintre alsacien. L’ovale s’est arrondi gracieusement, le grand front saillant s’est atténué, les yeux sont devenus brillans de vie et de bonté. Quelque chose de léger et de sensuel a pris la place de la gravité ancienne. En même temps l’exécution devenait plus parfaite. Le fond d’or disparaissait, remplacé par un beau ciel, au-dessus d’un petit paysage de montagnes. Le coloris lui-même prenait un fondu, une chaleur et une suavité qui rappellent les plus parfaits chefs-d’œuvre de l’école des Bellini[1].

Schongauer est mort à trente-huit ans, en 1488. Ses rares tableaux sont l’honneur de l’Alsace, et plus encore ses gravures sur bois, prodiges de sentiment, d’habileté et de charme, tantôt sombres et pathétiques, tantôt légères, souriantes, et d’une adorable grâce féminine.

Il n’est pas arrivé à tous les peintres allemands de tirer de l’étude des Flamands l’heureux parti qu’en a tiré Schongauer. Ni les élèves de ce maître à Colmar, ni les peintres de l’école d’Ulm n’ont su dégager franchement leur personnalité. A Colmar, Louis Schongauer a pourtant garde quelque chose de la grâce et de l’émotion de son frère, si l’on en juge par les adorables petites Scènes de la vie de Marie, de la cathédrale d’Augsbourg, que lui attribue M. Janitschek. A Ulm, le vieux Hans Schüchlin, l’auteur du célèbre autel de Tiefenbronn, n’a guère fait que mettre des types allemands au lieu des types flamands de Rogier et de Bouts ; il n’a pas cherché à faire vivre ses personnages, non plus qu’à s’écarter des sèches expressions convenues. Son élève Zeitblom (1450-1517), infiniment plus habile, n’a guère été plus ému. Ses froides figures de saints et de saintes, reproduisant les types et les costumes allemands avec une exactitude méritoire, n’ont jamais ni assez d’expression ni assez de mouvement pour nous donner l’illusion de la vie. A peine pouvons-nous signaler, parmi ses nombreuses compositions d’Ulm, de Stuttgart, de Berlin, d’Augsbourg, etc., un gracieux Vera Icon de Berlin, et deux Scènes de miracles à Augsbourg, très saisissantes dans leur vigoureux réalisme. Combien nous préférons à culte peinture sans expression les quatre Scènes de la Vie de Marie du moine Martin Schwarz, au musée de Nuremberg ! L’Annonciation, notamment, présente un délicieux mélange d’élégance et de naïveté. Cela est joli comme une pointure florentine, et touchant comme une peinture de Cologne.

  1. Les vierges de Munich et de Vienne ont malheureusement perdu sous des repeints leur coloris primitif ; mais deux volets, dans une collection particulière de Munich, donnent une excellente idée du coloris de Schongauer dans cette troisième manière.