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des deux parties de la Basse-Vendée. Non-seulement elles rapprochaient des paroisses voisines, les unes en Poitou, les autres en Bretagne, mais il existait sur leur territoire une petite ville qui relevait à la fois des deux provinces. C’était Bouin, dans l’île du même nom. Elle fut une des premières à se prononcer contre la révolution.

Le mouvement avait commencé dès 1791, au sud de l’arrondissement des Sables-d’Olonne, par la conspiration du château de La Proutière, dans l’ancien Talmondais. On sait comment cette conspiration avorta. Le château fut envahi par la garde nationale des Sables et livré aux flammes. L’insurrection ne pouvait réussir que dans le nord, moins accessible aux représentans et aux défenseurs du nouvel ordre de choses. Elle s’était produite sur divers points, quand elle trouva un chef dans Charette. Il se tailla une sorte de petit royaume dans la Basse-Vendée et n’en sortit guère. Il y exerça, jusqu’à ses revers, une autorité despotique. Il se montra impitoyable, non-seulement contre ses adversaires, mais contre ses partisans suspects de tiédeur ou coupables d’indiscipline. S’il n’ordonna pas les massacres de Machecoul, sa part y fut analogue à celle de Danton dans les massacres de septembre[1]. A la veille de ses dernières défaites, il fit fusiller un curé soupçonné de prêter les mains à une pacification. Zélé royaliste, il n’était pas dévot, et il se dégageait aisément de toutes les règles de la morale. Sa vie privée était scandaleuse. Il sut cependant se faire aimer, en même temps qu’il se faisait craindre, jusqu’au moment où la continuité de ses revers lassa la fidélité des populations. Les souvenirs que sa domination a laissés dans le pays ne lui sont pas défavorables, même parmi les patriotes. On avait vu tant d’excès de part et d’autre que les sages étaient indulgens. Lorsque Napoléon visita le département de la Vendée, il logea dans la petite ville de Montaigu, sur les confins de la Basse et de la Haute-Vendée, chez un magistrat patriote, qu’il se plut à interroger sur la guerre civile et particulièrement sur Charette. « Il était cruel ? demanda-t-il. — Sire, lui répondit son hôte, le général Charette, presque abandonné par la population, attribuait ce résultat à l’influence des prêtres. Soupçonnant un jour le curé de la Rabatelière d’une trahison, il le fit prendre et fusiller. Cela hâta sa perte. Hors ce cas, personne n’a accusé ce chef de cruauté[2]. »

  1. On trouvera un récit impartial et très exact de ces massacres, qui déshonorèrent à son début l’insurrection vendéenne, dans l’excellent livre de MM. Luneau et Gallet : Document sur l’île de Bouin. Nous signalerons, dans ce récit, la noble conduite des insurgés de la ville de Bouin. Non seulement ils ne prirent pas part aux massacres, mais ils réclamèrent la garde de leurs compatriotes prisonniers et les firent tous évader. Ils partirent eux-mêmes et ne revinrent plus à Machecoul tant que dura le massacre. Il dura plus d’un mois, du 12 mars au 23 avril 1793.
  2. Napoléon Ier à Montaigu. Extrait des Mémoires d’Antoine Tortat, par M. Eugène Louis. (Annuaire de la Société d’émulation de la Vendée, 1887.)