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part à la guerre civile, qu’il désapprouva même et chercha à empêcher. Il ne fut pas moins massacré par un riche fermier du pays, devenu général des bleus, qu’il avait, dit La Réveillère, « tiré d’une maladie mortelle, en exposant sa propre vie pour aller, lui vieux et infirme, par d’affreux chemins et un hiver rigoureux, le soigner dans cette maladie. »

Les blancs de la bourgeoisie, comme les blancs de la noblesse, à la différence des paysans, obéissaient moins à la passion religieuse qu’à la passion politique. Quelques-uns même étaient franchement voltairiens. L’un des principaux lieutenans de Charette, le chirurgien Jolly (je trouve parmi les ennemis de la révolution bien des médecins et des chirurgiens), méprisait les nobles, et n’avait pas pour les prêtres plus de ménagemens que son chef. C’était, dit un de ses biographes[1], « un démocrate royaliste, » l’un des plus zélés cependant et des plus utiles serviteurs de la cause contre-révolutionnaire.

La bourgeoisie royaliste, comme la bourgeoisie républicaine, comme les paysans de deux partis et la noblesse elle-même, se rallia sans peine au consulat et à l’empire. La différence entre les blancs et les bleus ne se montre plus que dans le zèle des uns et l’indifférence ou l’hostilité des autres pour la religion ou ses ministres. Leur antagonisme n’éclata d’ailleurs qu’après la restauration, quand on se crut, de part et d’autre, à la veille d’un retour complet à l’ancien régime. La bourgeoisie vendéenne se retrouva presque tout entière du côté des bleus. Il se produisit même plus d’une désertion parmi les familles blanches, où la fidélité à la cause du roi s’alliait parfois à une aversion très décidée pour les prétentions de ce qu’on appelait le « parti prêtre. » De là des élections très libérales, révolutionnaires même. Manuel fut un des députés de la Vendée.

Le libéralisme vendéen s’accentua encore sous la monarchie de Juillet. Pendant toute sa durée, dans le département de la Vendée, dans les fractions vendéennes des Deux-Sèvres, de Maine-et-Loire, de la Loire-Inférieure, on ne nomme que des députés de la gauche, quelques-uns même de la gauche avancée, On ne nomme surtout que des adversaires déclarés du « parti prêtre, » des « prêtrophobes, » comme on disait du plus marquant d’entre eux, Isambert. Les conseils-généraux ont la même attitude. Le conseil-général de la Vendée, devançant et dépassant le radicalisme anticlérical de nos jours, émet tous les ans des vœux pour la suppression de l’évêché de Luçon, comme « non concordataire, » et pour l’interdiction absolue de l’enseignement aux congrégations religieuses. Parmi les

  1. L’abbé Fonderie (Annuaire de la Société d’émulation de la vendit pour 1887).