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la plaine et dans le marais méridional, une même piété pour les mêmes souvenirs a uni les familles bourgeoises. Ainsi s’est cimentée l’unité morale de la province.

Je ne crois pas toutefois que l’esprit Vendéen, tel que j’ai cherché à le définir, domine véritablement dans la bourgeoisie Vendéenne. Quoique ses suffrages soient noyés depuis quarante ans dans ceux des masses rurales, plus d’un indice permet de reconnaître que les bleus y sont toujours en majorité. La lutte est d’ailleurs plus vive que jamais entre les deux partis. On y apporte, de part et d’autre, d’autant plus de passion que les divisions politiques se compliquent de querelles de famille et de brouilles entre anciens amis. Chez les bourgeois comme chez les paysans, cet antagonisme est loin de nuire à l’unité vendéenne ; il la maintient au contraire, en mettant toujours aux prises, sous les mêmes noms de blancs et de bleus, les deux causes que séparent et rapprochent à la fois les souvenirs attachés au nom de Vendée.

L’antagonisme est, en réalité, plus ardent qu’il n’est profond. L’extrême droite et l’extrême gauche ont peu de partisans en Vendée. Ni les plus royalistes n’achèteraient au prix d’une guerre civile la restauration de la royauté ni les plus ultramontains, au prix d’une guerre étrangère, le rétablissement du pouvoir temporel du pape. Les plus avancés, parmi les républicains, n’ont aucun goût pour le socialisme, et leur anticléricalisme reste en-deçà de celui de leurs pères, sous la monarchie de 1830. Aussi doit-on regretter l’abus qui se fait, de part et d’autre, du nom de Vendée pour entretenir l’esprit de discorde. Ce nom éveille certainement des souvenirs héroïques dans l’histoire des deux partis, et la sagesse, chez l’un et l’autre, serait d’en revendiquer l’honneur en commun. La province que ces souvenirs ont concouru à créer peut rester chère à chacun de ses enfans, et ni les uns ne doivent la renier ni les autres se l’approprier au profit de leur seul parti. Ce qu’il faut surtout repousser, c’est l’exaltation des souvenirs pénibles, qui ne font qu’irriter les passions chez les hommes de parti et offenser chez les esprits impartiaux le vrai patriotisme. La guerre civile tient trop de place dans les polémiques, dans les manifestes, dans les sermons. Elle a été trop souvent rappelée dans les cérémonies récentes pour la béatification du fondateur des mulotins, le père Grignon de Montfort. Je ne terminerais pas cette étude tout historique et dégagée de tout esprit de parti, comme M. Célestin Port termine sa préface, par un dithyrambe en l’honneur de la révolution ; mais j’aime moins encore les hosannas en l’honneur de la guerre civile.


EMILE BEAUSSIRE.