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lentes, prudentes, circonspecte et peu hardies de cet « esprit de finesse » dont mille observations ténues, délicates et chacune dix fois discutée et contrôlée sont les « principes. » L’histoire morale est de l’histoire, et le moraliste est un historien. Mille faits prouvés sont sa base, au-dessus de quoi il s’élève peu, lui servent de point de départ au-delà duquel il s’avance d’un pas ; et qu’un grand système logique est plus vite fait ! Et, aussi, comme il satisfait plus pleinement la raison pure, à condition, du moins, que la critique sommeille ! Et comme l’homme de combat s’en accommode aisément, la suite des déductions paraissant si bien pousser et refouler au loin l’adversaire ! A la vérité, ce n’est le tuer que par raison démonstrative ; mais l’illusion en est toujours douce. Et voilà pourquoi, sur le chemin, sinon de la vérité, du moins de la vraie méthode, Bonald rebrousse, et nous ramène en pleine idéologie, s’empare d’un principe, d’un axiome, y adhère de toutes les forces de son esprit, lui attribue la certitude, lui donne de sa grâce, et s’habitue, par le respect même dont il l’entoure, à lui conserver je ne sais quelle autorité mystérieuse, puis y applique tout, y rattache tout, en tire tout ; et si, par aventure, le principe est moins évident à nos yeux qu’aux siens, et perd son caractère sacré en passant de son esprit dans le nôtre, tout s’écroule.

Et quelle est-elle donc, enfin, cette idée universelle ? Voilà bien où se montre et éclate le pur scolastique. Cette idée — je n’ai aucune velléité de parodie, et ne crois ni trahir ni travestir un penseur sérieux et vénérable — cette idée, c’est un chiffre, cette idée c’est le nombre trois. Tout va par trois, Dieu, le monde, l’Etat, la famille, l’homme ; tout le visible et tout l’invisible. Sans l’idée ternaire rien ne s’explique ; avec elle tout se comprend, parce que c’est par elle que tout est constitué et se soutient. Quelque chose que l’on considère au monde, on y trouvera ces trois termes : cause, moyen, effet, et rien autre que ces trois termes. Le monde est un système de trinités. Dieu et le monde, qu’est-ce bien ? C’est une cause, Dieu ; un effet, le monde ; un moyen, et ici il faut prononcer médiateur : Jésus-Christ. L’homme, qu’est-ce bien ? « Une intelligence servie par des organes, » c’est-à-dire une cause : l’âme ; des moyens : les organes ; un effet : la conservation et la reproduction. La famille, qu’est-ce bien ? Une cause : l’homme ; un moyen : la femme ; un effet : Ios enfans. La société, qu’est-ce encore ? Une cause : le roi ; un moyen d’action : le patriciat ou les patriciats ; un effet : conservation et reproduction du peuple, etc.

Et maintenant voulez-vous mettre des termes concrets à la place des abstractions ? Ne dites plus : cause, moyen, effet ; mais pouvoir, ministre, sujets, vous répéterez la théorie en la vérifiant et la confirmant. Dieu est pouvoir, Jésus est ministre, le monde est