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notre esprit que pour la recevoir, et, comme dit Pascal : « Écoutons Dieu. »

Comment l’intrépide inventeur de système, et d’un système qui n’est, ce me semble, inscrit dans aucun livre saint, en est-il arrivé à cette pure soumission à la vérité traditionnelle, et à cette abdication de la pensée personnelle devant la tradition ? Comment surtout, s’étant attaché à cette seconde conception, n’a-t-il pas simplement abandonné la première, comme suspecte, au moins, d’une certaine tendance à la liberté de penser ? Je ne sais. Ce qui est certain, c’est qu’il les a obstinément maintenues toutes deux. Il y a en Bonald un homme de 1760, un dialecticien fougueux qui a vite construit un système tout personnel et qui y fait rentrer l’univers de gré ou de force, et c’est comme son côté affirmatif ; il y a, de plus, un chrétien qui méprise tout système opposé au christianisme et qui prétend humilier les faiseurs de système par la démonstration de l’imbécillité de la raison humaine, et c’est son côté négateur. Il s’est maintenu dans cette double ligne, persuadé que son affirmation n’était point antichrétienne, ce qui est vrai, mais convaincu qu’elle confirmait son christianisme et n’en était que l’expression suprême, ce qui n’est pas démontré. Un chrétien ne doit pas avoir de système personnel. Il ne doit que prouver que tous les libres penseurs ont tort, et quand il s’agit d’affirmer à son tour, n’affirmer que l’Écriture. C’est ce que de Bonald n’a pas fait. Cette grande différence entre un Bossuet et lui, et qui marque bien la date de l’un et de l’autre, était essentielle à considérer.

Quant à l’esprit qui anime la patrie impersonnelle et vraiment chrétienne du système de M. de Bonald, il commande l’attention autant que le respect et sollicite la réflexion. Bonald a l’instinct de la polémique directe et de la position au point central, comme de Maistre a celui des mouvemens tournans et des fantaisies brillantes. Il s’est placé au centre des opérations et a poussé droit devant lui. Il a pensé ceci : le christianisme, c’est la création. Tout ce qui n’est pas le christianisme, c’est la négation, ou l’escamotage, ou l’atténuation, ou l’obscurcissement, ou la relégation dans un lointain nébuleux de l’idée de création. Pour prouver le christianisme, il n’y a qu’une vraie méthode, c’est de remettre l’idée de création en honneur et en créance. Le prouver autrement, c’est le trahir. Le prouver par la considération de ses « beautés, » c’est montrer quelle place honorable il peut prendre parmi les différens paganismes qui ont amusé les hommes. Le prouver par le pessimisme, c’est beaucoup plus le faire désirer que le faire croire ; c’est faire souhaiter qu’il soit vrai, comme compensation juste et comme résolution satisfaisante des griefs que nous avons contre la nature ; ce