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qu’elles s’appellent privilèges ou d’un autre nom, sont choses excellentes ; mais un intendant de Louis XIV ou de Louis XV n’est déjà pas autre chose qu’un préfet, ou un préteur ; et ainsi de suite.

Et l’idée de Bonald n’est pas fausse. Oui, il y avait une constitution en France avant 1789 ; il y avait les germes, un peu mortifiés, et le dessin, un peu altéré et obscurci, d’une excellente constitution, mélange très heureux de monarchie, d’aristocratie « ouverte, » de démocratie, avec un corps admirablement fait pour recevoir et pour garder le « dépôt des lois, » et tout cela, peut-être pouvait être conservé, à la condition d’être redressé et revivifié ; et j’admets qu’il ne fallait pas une révolution ; mais je tiens qu’il fallait une réforme. Il fallait retrouver, en la comprenant bien, la constitution, et la ranimer. La constituante aurait dû se nommer reconstituante. Il semble bien, en vérité, que c’est l’idée de Bonald, puisque cette constitution il l’admire, et puisque cette reconstitution, il la fait. C’est bien lui, qui, en admirant dans les parties diverses de l’ancienne constitution, française ce qu’elles auraient pu faire, indique ce qu’elles auraient dû être. C’est bien lui qui montre, de l’ancienne constitution française ramenée à son véritable esprit, quel gouvernement pondéré, souple, fort, aisé et libéral pouvait sortir. Dès lors, on s’attend à ce qu’il dise : « Je suis d’avant 1780, parce que je suis libéral. Des conquêtes de 1789 je tiens que le despotisme est, tout au moins, la plus palpable et la plus incontestable. Nous en sortons. Je tiens qu’en France c’est le despotisme qui est nouveau et la liberté qui est ancienne. Je veux donc ranimer l’ancienne constitution, qui était mille fois plus libérale que vos inventions nouvelles. Je me place en 1788. Je vois une noblesse ouverte, aristocratie qui se forme incessamment de ce qu’il y a de plus pur dans tout le peuple, et à qui sa loi interdit de devenir un patriciat d’argent : je la rétablis avec ces caractères, et je l’empêche de devenir riche par la mendicité. Je vois une magistrature indépendante ayant le dépôt des lois : soit par la vénalité des charges, soit par un autre moyen moins décrié, je la maintiens indépendante, je m’oppose à ce qu’on en fasse un corps de fonctionnaires, et je lui conserve le dépôt des lois. Je vois des libertés locales : je les régularise, et j’établis, je veux dire je rétablis, une large décentralisation administrative. Je vois des états-généraux : je les régularise, ne fût-ce que pour qu’on ne passe point deux siècles sans les convoquer, et j’en fais, par exemple, un parlement de deux chambres, clergé et noblesse dans l’une, peuple dans l’autre, qui se réunit de droit, non pas constamment, ce qui serait un gaspillage de temps et de forces, mais d’une manière périodique, et qui vole l’impôt et surveille le gouvernement, sans