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la lecture de Bonald, devrait être libéral, parlementaire, décentralisateur et même demi-démocrate, en faisant abstraction de la Révolution, en n’en tenant pas compte, et même parce qu’il ne l’aime point.

Contradiction curieuse, moins formelle et criante que je ne la donne ici pour la faire entendre, car je force un peu les choses, mais réelle, et qui fut celle de tout un parti. Bonald, et beaucoup d’autres à côté de lui, et après lui, ont répété sans cesse trois propositions, dont la première était qu’ils voulaient l’ancien régime, la seconde qu’il y avait mille fois plus de libertés avant 1789 qu’après, la troisième qu’il n’en fallait pas. Tout est plus acceptable que ce système-là, tout est plus sûr et plus rassurant que cet état d’esprit. De Maistre, qui n’a pas vu un atome de liberté, de gouvernement mixte et tempéré, de constitution complexe, dans l’ancienne France, est du moins plus logique, et il nous montre aussi un terrain plus solide en nous assurant que l’absolutisme est à la fois de raison et de tradition. On ne peut pas en vouloir A de Bonald d’avoir démêlé ce qu’il y avait de constitution libérale dans l’ancien royaume de France quand on estime qu’il a eu raison de l’y apercevoir ; maison se demande à quoi il lui sert de l’avoir vu.

Il n’est pas si coupable, et la faute est aux temps. Elle est d’abord, si l’on veut, au tempérament national : car il est à peu près impossible à un Français d’être libéral, et le libéralisme n’est pas français. Mais elle tient surtout à la date où de Bonald écrivait. Au sortir de la Révolution, un long temps devait s’écouler (sauf pour un Constant ou une de Staël, qui sont des demi-étrangers), où personne n’aurait le calme d’esprit et le sang-froid d’un Montesquieu, non pas même ceux qui, comme de Bonald, l’avaient bien lu ; et où, pour tout le monde, le libéralisme ne serait jamais qu’un argument à opposer à l’adversaire. La Révolution française a fait bien du tort au libéralisme français. La liberté politique, qui n’est qu’une complexité plus grande, de plus en plus grande, dans le gouvernement d’un peuple, à mesure que le peuple lui-même contient un plus grand nombre de forces diverses ayant droit et de vivre et de participer à la chose publique, est un fait de civilisation qui s’impose lentement à une société organisée, mais qui n’apparaît point comme un principe à une société qui s’organise. Quand Rousseau se figure les hommes se réunissant et délibérant pour créer l’état social, dans l’état social qu’il suppose qui se crée ainsi, il ne met aucune liberté, et il est en cela très logique et plein de raison, car, dans de pareilles conditions, les hommes « n’inventeraient » nullement la liberté, ils organiseraient le pouvoir, rien de plus ; et à la liberté, peu à peu, de se faire sa place ensuite. Or