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de Folies, un recueil d’Esprit (Witzsammlung), un encore de Préparation à l’esprit (Anleitung zum Witz), etc. Dans d’autres volumes, il avait fait collection de noms bizarres, de sous étranges, ou simplement de synonymes pour varier son style. Le Dictionnaire auxiliaire avait, pour exprimer l’idée de détérioration, cent quatre-vingt-quatre termes ; pour celle de mort, plus de deux cents. Il fallait souvent revoir ces collectanea, les comparer, les combiner. L’humoriste, pour ne pas perdre de temps, s’était tracé une méthode rigoureuse, à laquelle il resta constamment fidèle : « La première semaine, lis le cahier Laune; la deuxième, Ironie; la troisième, Allemand; la quatrième, Esprit. — Une once de café, le matin. — A la suite de chaque cahier d’extraits, mets une table des matières d’après les différentes sciences; par exemple, histoire naturelle, etc. — En mangeant, lis les extraits. — Avant de sortir, lis Satire, Esprit... »

Professeur, Jean-Paul, en un sens, l’était essentiellement, puisque jamais écrivain n’agit moins par impulsion naturelle et plus par doctrine et par système ; seulement il n’enseignait qu’une chose : sa propre façon d’être spirituel, — ou absurde. Jusque dans ses lettres familières, la préoccupation d’enseigner le poursuit; il donne des préceptes de style à ses correspondans ; lui-même, il ne leur dissimule pas que, s’il leur écrit d’aussi longues lettres, c’est parce qu’il espère trouver, dans la liberté du style épistolaire, des jeux de mots, des métaphores et des rapprochemens qu’il pourra utiliser dans ses livres. Aussi tient-il une comptabilité réglée de toutes ses plus petites productions. Il n’est pas homme à rien perdre ; il recopie mot pour mot ses épîtres soignées ; si, pressé par le temps, il se voit obligé d’envoyer en hâte quelque billet il prie son correspondant de le lui renvoyer après qu’il l’aura lu. Ses lettres sont donc, elles aussi, des exercices d’esprit et de la copie, comme les bons mots du petit Fritz et comme les longs extraits du jeune Charles.

En 1789, Jean-Paul publia une nouvelle satire, le Choix tire des papiers du diable, qui trouva, je ne sais comment, un éditeur. Personne ne put lire ce second exercice de style et d’esprit, aussi dépourvu de suite, de substance réelle et de sens que les Procès groënlandais, et dont un ami de l’auteur lui écrivait qu’il aurait besoin de le relire quatre cents fois pour le comprendre. Ne possédant toujours que l’instruction tirée des livres, continuant à tout ignorer du monde, ce scribe inoffensif, atteint de folie douce, ne parvient ni à mordre, ni à piquer, et faisant, comme d’usage, une théorie de son impuissance même, il donne de la satire cette définition très nouvelle : « une simple grimace métaphorique. » Dans quelques-unes des productions ultérieures de Jean-Paul nous finirons