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qu’il attachait au succès de son œuvre ; dans celle du comité du ministère des affaires étrangères, il devait se borner au rôle impassible d’observateur; dans celle du ministre, au contraire, il devait se montrer sympathique à l’Autriche et à ses partisans. C’était de la politique en partie triple.

Bien inspiré, M. Rio eût débuté par Berlin ; mais au lieu de ménager les légitimes susceptibilités de notre légation, il fit l’école buissonnière à Carlsruhe, à Stuttgart et à Munich. Il eut surtout le tort de s’arrêter à Francfort, au centre de l’agitation allemande. d’y prendre couleur en se frottant aux partis, et de se donner les allures et l’importance d’un agent diplomatique. Il n’en fallut pas davantage pour faire vibrer les nerfs irascibles de M. de Persigny. L’envoyé du département, en se présentant tardivement à la légation, quinze jours après son départ de Paris, fut d’autant plus mal accueilli que les lettres du ministre et du président, dont il était porteur, avaient perdu l’attrait de l’actualité. M. de Persigny en fit ses plaintes au prince. « Je comprends, disait-il, qu’en remettant votre lettre à M. Rio vous ayez cru qu’elle me parviendrait aussitôt; mais je ne m’explique pas que M. de La Hitte ait pu lui confier une dépêche importante qui devait m’éclairer sur votre politique, sachant qu’il ne se rendrait pas directement à Berlin. Vous me permettrez de vous présenter de sérieuses observations au sujet de cette mission qui autorise celui qui en est chargé de ne correspondre qu’avec le département. Cela me met dans une situation fausse. Placé à Berlin, au point capital où se décident les événemens, j’en suis réduit à ne savoir ce qui se passe à Erfurt que par les journaux. Une telle situation n’est pas acceptable ; il faut que toutes les dépêches de M. Rio me soient adressées sous cachet volant pour me permettre de régler ma conduite d’après ses renseignemens. Sans cela, je jouerai ici un rôle ridicule, car le véritable représentant de la France serait M. Rio. On vous a représenté sa mission comme une simple mission d’observation, elle devrait en effet n’être que cela ; mais en correspondant en dehors de mon contrôle avec le ministère, il devient un agent officiel. Il s’impose à l’attention de tous les partis en Allemagne. Chacun cherchera à pénétrer son opinion, en croyant pénétrer l’opinion du gouvernement français ; il y aura deux actions divergentes, l’une à Berlin, l’autre à Erfurt. Ce qui aggrave les difficultés de cette situation, ce sont les tendances politiques de M. Rio; il est légitimiste et ne s’en cache pas. Vous l’ignorez sans doute; mais à Francfort il a pris ouvertement parti pour l’Autriche, à tel point que M. de Radowitz, vivement mécontenté, a demande à ce qu’il n’y eût pas d’agent français à Erfurt. Je suis tellement pénétré des inconvéniens de cet état de choses, que je