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Il le sait, et il entend les ressorts à l’excès, évitant, d’instinct, ce qui le détournerait de son but, peu soucieux des formes et des apparences, âpre aux réalités. On lui reproche son manque d’urbanité, des habitudes souvent grossières, son dédain des conventions et de la distinction. Il est certes de nombreuses et brillantes exceptions, mais en fait le reproche est fondé. Le plus grand nombre n’a ni le temps d’être poli, ni celui de rechercher la société des femmes. Ils ont autre chose à faire. Puis, l’absence de dot a du moins cela de bon qu’ils ne voient pas, dans un riche mariage, un chemin de traverse plus court pour conquérir la fortune.

Riches ou pauvres, arrivés ou en voie de l’être, ils sont rarement oisifs ; or il faut des loisirs pour cultiver la société des femmes. De toutes les occupations nulle n’est plus absorbante, n’exige plus de temps et de soins. Enfin, aux États-Unis, les salons ne sont pas, comme en Europe, l’une des grandes routes qui mènent au succès, la plus fréquentée par les ambitieux en quête d’un appui, d’une recommandation, d’une influence ; un centre où se nouent des intrigues, où se traitent des affaires, où se concluent des marchés. À Washington même, les nuées de solliciteurs qui assiègent la capitale et la Maison-Blanche ont bien rarement accès dans les salons, même politiques, et l’on aurait peine à citer un homme d’état, un financier, un avocat, un millionnaire quelconque ayant fait son chemin dans le monde et par le monde.

La froideur et la réserve naturelles aux hommes, leurs occupations multiples et l’ardeur qu’ils y apportent, le respect que leur inspire la jeune fille, son expérience des réalités de la vie, son imagination disciplinée de bonne heure, autant de causes qui rendent la flirtation moins périlleuse pour elle, aux États-Unis, que partout ailleurs. Si ces filles d’Eve n’ont point inventé la flirtation, à tout le moins elles ont inventé le mot et si bien perfectionné la chose qu’elles l’ont élevée à la hauteur d’une institution. Il leur fallait cela pour remplacer ce qui en tient lieu en Europe et ce qui n’existe pas en Amérique : la sollicitude inquiète des parens et des amis, leurs combinaisons matrimoniales, leurs négociations discrètes, toute cette stratégie savante pour rapprocher et pour unir, pour préparer et conclure un mariage. L’indépendance américaine s’en accommodait mal, l’absence de dot en écartait tout ce qui en fait une affaire, ne laissant subsister que la question de goût personnel. Or, en pareille matière, le cœur des intéressés seuls étant en jeu, les intermédiaires deviennent inutiles ; le plus simple est encore de laisser les adversaires en présence. C’est ce que l’on fait.

À la jeune fille donc de former sa cour, d’arrêter son choix, d’éliminer