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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/473

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trop évident que tous les partis acharnés à se disputer le pays entendent l’armistice d’aujourd’hui à leur manière, qu’ils l’acceptent à la condition de s’en servir au profit de leur cause ou de leurs passions. Ce que feront les chambres qui vont se retrouver en présence, c’est l’imprévu. Assurément, si elles avaient un peu de prévoyance et de raison politique, elles éviteraient de se rejeter dans des luttes violentes, de réveiller des questions irritantes, de rendre plus sensible le contraste entre leurs vaines agitations et les vœux de la France laborieuse ; elles se borneraient à voter le budget qu’on leur demande, — puis elles se retireraient, laissant au pays les avantages de cette trêve qu’on lui a promise, le temps de réfléchir avant le grand scrutin où il doit dire, autant qu’il le peut, le dernier mot des conflits du jour. Oui, si elles étaient sages, elles agiraient ainsi ; mais ce serait peut-être se laisser aller à un optimisme un peu naïf de croire que des chambres, dont l’une a toutes les inquiétudes d’une fin prochaine et l’autre est sous le poids d’un procès d’État embarrassant, vont montrer tout à coup une mesure, un esprit politique qu’elles n’ont jamais eus. Elles sont à la merci des incidens, d’une interpellation délicate, d’un débat imprévu qui peut tout précipiter, — et, sans attendre ce que fera le parlement, déjà les chefs de partis ou ceux qui passent pour des chefs de partis n’en sont pas à entrer dans la lutte. Ils sentent bien que l’Exposition est une diversion, qu’elle n’est pas une solution, qu’ils approchent à grands pas des élections, qu’ils vont se trouver en face d’un pays incertain, partagé, froissé dans ses sentimens et dans ses intérêts, excédé d’une politique irritante et impuissante. Il y a surtout un point qui semble préoccuper une certaine classe de républicains, ceux qu’on appelle les opportunistes, c’est la nécessité de raffermir une situation si profondément ébranlée, en essayant de ramener ou de rassurer les instincts conservateurs. M. le président de la chambre des députés, un homme fort doux, dans le discours qu’il prononçait l’autre jour à Versailles, ne se défendait pas de quelques allusions aux affaires du moment et adressait un appel assez mélancolique aux conservateurs qu’il pressait de se rallier, s’ils voulaient reprendre » leur place dans la direction des affaires du pays. » M. Jules Ferry, qui rentre tout armé en campagne et qui haranguait il y a quelques jours ses électeurs de Saint-Dié, se donne plus que jamais pour un modéré ; il ne parle que de tolérance, de république ouverte, de la nécessité de rendre un gouvernement à la France.

C’est d’un bel effet dans des discours ; mais si la situation est aujourd’hui étrangement compromise, si toutes les forces politiques sont plus ou moins désorganisées, s’il n’y a ni la paix morale dans les foyers ni l’ordre dans les finances, s’il n’y a pas de gouvernement, si le pays poussé à bout a paru un moment se laisser tenter par de décevantes aventures, qui donc a créé ou permis tout cela ? Qui donc s’y est prêté, si ce n’est ceux qui ont régné depuis dix ans sans partage, qui ont été