produire sans que l’opinion révoltée reprît à l’exécutif un pouvoir judiciaire dont il aurait mésusé ; mais, tel qu’il s’exerce ordinairement, le droit de grâce n’en est pas moins une ingérence du gouvernement dans la justice. D’autant plus que les motifs qui inspirent les grâces ne sont pas le plus souvent des motifs juridiques : on sera plus indulgent pour un modeste assassinat de province, qui n’aura pas eu les honneurs du reportage des grands journaux, que pour un meurtre à sensation qui aura passionné le « tout-Paris » pendant quinze jours. Pour ces remises ou commutations de peines, grâces collectives accordées annuellement dans les bagnes, prisons et établissemens pénitentiaires, réhabilitation en matière criminelle, correctionnelle et disciplinaire, silencieusement élaborées dans un bureau du ministère de la justice, qui peut dire la part que les protections, les influences ont dans ces décisions administratives ?
Je suis loin de m’élever en principe contre le pardon d’une faute déjà longuement expiée, ou l’adoucissement d’un châtiment à moitié subi ; mais, précisément parce que beaucoup de ces mesures de clémence doivent, pour conserver tout leur prix, demeurer secrètes, je les voudrais soumises à des magistrats, jugeant à huis clos, et non à des bureaucrates, afin que le prétoire seul fût maître de modifier les décisions du prétoire.
Une autre atteinte à la séparation des pouvoirs, c’est la dépendance dans laquelle les magistrats se trouvent vis-à-vis de l’exécutif, par qui tous sont introduits dans la carrière, par qui tous sont promus aux grades supérieurs, et par qui le plus grand nombre peut être révoqué du jour au lendemain. La constituante de 1789 avait bien compris que, pour affranchir à jamais le judiciaire de la tyrannie du gouvernement et de celle des assemblées parlementaires, il fallait lui donner une origine distincte, le faire engendrer directement par le peuple. Elle organisa un système de votation qui fonctionna bien la première fois, mal la seconde, et fut anéanti avant la troisième épreuve ; la Convention l’avait confisqué. Depuis cette époque, les projets de nomination des juges à l’élection ont plusieurs fois apparu dans les chambres, sans jamais y rencontrer de majorité sérieuse. Ils semblent le monopole du parti radical et empruntent à leurs auteurs un parfum révolutionnaire assez accentué pour effrayer la masse conservatrice du pays. Nous avons déjà cependant toute une catégorie déjuges élus et fréquemment renouvelés : ce sont les tribunaux de commerce. Seulement la qualité des électeurs et des éligibles est limitativement déterminée par la loi, et la fonction du magistrat consulaire est gratuite ; ces deux conditions suffisent pour assurer un bon recrutement. Appliquées aux tribunaux civils, il est fort probable