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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/589

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droit, les juristes éminens du pays ; les cours d’appel nommant à leur tour leurs conseillers et leurs présidens, pourvoyant en outre à tous les postes de leur ressort, sièges de première instance ou justices de paix.

A l’entrée de la carrière, la sélection se ferait par un concours annuel suivant le mode, vraiment juste et démocratique, déjà usité dans nombre de services d’état, et que le ministère de la justice employa aussi, en 1876, sur l’initiative de M. Dufaure. Les résultats excellens de cette tentative, qui fit sortir de l’obscurité des hommes de mérite, pour lesquels la magistrature serait peut-être demeurée fermée, n’ont pas empêché les gardes des sceaux qui se sont succédé depuis 1879, d’enterrer avec plaisir une institution qui avait pour but de restreindre leur ancien arbitraire. Le rétablissement du concours devra donc être le premier acte d’un gouvernement sage. Chaque année, une liste unique serait dressée par la commission d’examen, et dans cette liste les cours viendraient puiser pour remplir les vides de leur ressort. Le concours au début, puis le choix de ses anciens, enfin la cooptation de ses pairs, voilà les trois degrés d’une hiérarchie libre, voilà le moyen de créer en France un pouvoir judiciaire sur lequel les partis ne pourraient mordre et que les révolutions n’atteindraient pas.

Mais, dira-t-on, il se formera un esprit de corps, voire de coterie ; vous allez ressusciter les anciens parlemens ! La magistrature ira s’isolant de plus en plus de la nation, étrangère et peut-être hostile au mouvement incessant des idées nouvelles. De pareilles appréhensions sont purement chimériques ; où prend-on les élémens d’une magistrature, retranchée dans ses palais comme dans des forteresses, embusquée derrière les articles de nos codes pour tirer à son aise sur les hommes et les choses qui lui déplairont ? Le peuple ne garde-t-il pas sa toute-puissance législative, et celui qui fait la loi n’est-il pas au-dessus de celui qui l’interprète ?

Seulement la loi, une fois votée, ne doit plus appartenir aux assemblées politiques. Sous prétexte qu’il en est le père, qu’elle est issue de son cerveau, que sa parole et sa plume lui ont donné le jour, le législateur est trop enclin à se permettre avec la loi des familiarités dangereuses. Il veut la guider dans le monde et conserver sur elle un droit de tutelle officieuse ; rien n’est plus fâcheux, plus contraire à un régime vraiment égalitaire. Comme le sculpteur païen adore, confondu dans la foule, le jour où elle est posée sur les autels, l’idole qui la veille criait sous son ciseau, et que l’avant-veille ses doigts ont pétrie ; comme la reine est, le lendemain de ses couches, la première sujette de son fils, ainsi la chambre législative doit être l’humble esclave de la loi, sortie de ses délibérations. Cette loi souveraine a, pour exécuter ses volontés, un corps de serviteurs : les