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adressées au sénat et à la chambre pour demander une réforme dans le même sens ; l’un des porteurs de ces doléances était, si j’ai bonne mémoire. M. Ch. Floquet, député de la Seine : « Cette affaire mérite particulièrement l’attention, disait-il, parce qu’elle touche aux intérêts des classes peu fortunées. » Depuis les propositions de MM. Floquet et Parent, on en vit d’autres, déposées par MM. Cazot, Humbert, Marlin-Feuillée, Brisson ; nombre de conseils-généraux firent des vœux dans le même sens, une foule de candidats inscrivirent, en 1885, sur leur programme, la réforme des justices de paix comme moyen d’arriver à une diminution des frais de justice. La commission parlementaire craignit, elle ne le cacha pas, de causer par cette loi un préjudice indirect aux greffiers et aux avoués des petits tribunaux, semblable ainsi à un conseil d’hygiène qui se garderait de combattre les épidémies, pour ne pas faire de tort aux honoraires des médecins. La chambre demanda un projet d’ensemble comprenant la refonte du code de procédure civile, et une réorganisation complète des institutions judiciaires ; c’était un honorable renvoi, l’intérêt d’un petit nombre prima, une fois encore, l’intérêt général.

Quelque digne de ménagemens que puisse être en effet l’armée des officiers ministériels, le souci de maintenir ses revenus intacts ne peut être comparé à la nécessité de rendre la justice moins onéreuse. Le gouvernement, qui nomme ces intermédiaires, ne leur garantit qu’un titre purement illusoire s’ils ne savent pas créer ou conserver une clientèle ; ce titre même, l’assemblée nationale en avait enlevé la propriété à leurs prédécesseurs de 1790, et, avant que la restauration l’ait rendue à quelques-uns d’entre eux, d’énergiques élagages avaient été pratiqués pour le bien commun. Doit-on regretter, bon Dieu ! que Paris n’ait plus, comme au temps de Louis XV, pour une population quatre fois moindre, un nombre d’avoués six fois plus grand que celui d’aujourd’hui, que Vitry-le-Français qui avait vingt procureurs n’ait plus que cinq avoués, que Cahors ne possède plus que sept avoués au lieu de quarante-sept procureurs ? .. Ce privilège des avoués, huissiers, notaires, l’État qui le maintient pourrait y mettre certaines restrictions, comme il l’entoure de certaines garanties ; à preuve le décret actuellement élaboré par le ministre de la justice qui, effrayé du nombre chaque année croissant de déconfitures, dans le corps du notariat, a créé des inspecteurs spéciaux dont le traitement sera prélevé sur la bourse même des notaires.

La réforme continue donc de figurer à l’ordre du jour, non pas à celui de la chambre, mais à celui de l’opinion, et cela suffit pour qu’elle aboutisse. L’extension projetée de la compétence des juges