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sculpteurs, malheureusement, la rage du colossal fait aussi des ravages, et la dimension des figures n’est pas toujours proportionnée à leur importance. Personne n’a plus d’admiration que nous pour Géricault ; mais était-il bien nécessaire d’en faire un géant, surtout un géant en bras de chemises, en culottes collantes, en pantoufles, avec un cadavre étendu derrière lui ? Si c’est un programme officiel qui a imposé à M. Guilloux ce manque de goût, c’est un programme malheureux. C’est encore un géant, coiffé d’un lion, un géant à l’air féroce, qui représente le protecteur de l’enfance studieuse dans le groupe de M. Icard, Protection et Avenir. Le Genie expirant de M. Daillion est lui-même un géant. Rien ne justifie vraiment, dans ces œuvres, d’ailleurs remplies d’estimables qualités, ces efforts pénibles vers le grandiose. Il est assez difficile de mener à bien une figure et un groupe de grandeur naturelle sans qu’on ait à se jeter spontanément dans le colossal lorsque ce n’est pas une nécessité architecturale ou décorative.

M. Christophe a été plus prudent dans son Baiser suprême. Ce baiser funèbre, c’est celui que le Sphinx accorde à sa victime, poète ou artiste, en lui défonçant la poitrine de ses griffes sanglantes. M. Christophe a toujours eu le goût de ces allégories mystérieuses et tristes. On se souvient de sa Comédie humaine, dans le jardin des Tuileries, la grande femme qui pleure derrière le masque qui rit. Son groupe est d’un arrangement hardi et original ; la victime, tournant le dos, retourne la tête, sous la caresse meurtrière de la bête, pour lui tendre ses lèvres, en agitant dans l’air ses bras avec une volupté douloureuse. SI. Christophe apporte, dans son faire nerveux et précis, des préoccupations d’exactitude rigoureuse et d’intense vigueur qui font penser aux sculpteurs florentins du XVe siècle. Il a suffi également à M. Dampt d’une figure ordinaire, une jeune femme, presque un enfant, assise, dans une attitude pensive et attristée, devant une colonnette supportant une statuette de l’Amour, pour exprimer, d’une façon nouvelle et charmante, la Fin du Rêve ; on doit regretter que M. Dampt gâte presque toujours ses sculptures distinguées par quelque détail, dans la conception ou dans l’exécution, d’un goût subtil ou douteux. Le monstre moyen âge qui s’envole derrière cette enfant désolée n’est qu’une distraction inutile et une surprise désagréable pour les yeux. Un peu plus de bonhomie sied mieux aux sculpteurs, dont l’art exige avant tout la clarté et la simplicité, et qui n’ont pas à chercher midi à quatorze heures pour nous ravir par la grâce d’une belle altitude, la souplesse d’un mouvement heureux, l’expression d’un geste naturel. Il n’a pas fallu de tortures d’esprit à M. Charpentier pour imaginer sa Chanson, à M. Labatut