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Mérite, à graver, à enfoncer son nom dans les mémoires ; et, si quelqu’un enfin, non-seulement pour nous, qui sommes de sa race, mais encore pour les étrangers, représente l’esprit français, ou plutôt l’esprit classique, avec ses qualités, avec les défauts aussi qui en sont le revers ou la rançon, ce n’est ni Molière, ni La Fontaine, ni Racine, c’est lui, c’est Boileau, c’est l’auteur des Satires et de l’Art poétique. Voilà une fortune singulière ; telle, que l’on en a vu rarement de semblable ; telle aussi que de plus beaux vers que ceux de Boileau, s’ils en expliquaient l’origine, seraient insuffisans à en justifier la durée ; telle que ne l’ont faite, en essayant de jouer le même rôle, ni Pope en Angleterre, ni Gottsched ou Lessing en Allemagne, ni, depuis Boileau lui-même, aucun critique en France. Et, en effet, il faut l’avouer d’abord, quelque talent qu’il ait eu, Boileau, comme Louis XIV, a eu plus de bonheur encore. Il a paru dans le temps précis qu’on l’attendait, ni trop tôt ni trop tard, dans le temps de la perfection de la langue et de la maturité du génie de la nation, à l’une des rares époques de l’histoire où nous ayons senti le prix de la règle, de la discipline et de l’ordre. Artiste scrupuleux, tyran consciencieux des mots et des syllabes, nul n’a d’ailleurs été plus Français, — que dis-je, plus Français ! — c’est plus Parisien je veux dire, ou même plus « bourgeois » en même temps qu’artiste. Et cependant, et avec cela, s’il y a eu, depuis la Renaissance jusqu’à la Révolution, un idéal classique commun à l’Europe entière, l’honneur lui appartient de l’avoir plus nettement conçu, défini et fixé que personne.


I

Si je rappelle d’abord qu’il naquit à Paris, le 1er novembre 1636, dans la cour même du Palais ; que Gilles Boileau, son père, était l’un des commis au greffe de la grand’chambre du Parlement ; qu’Anne de Nyellé, sa mère, était fille elle-même d’un procureur au Châtelet ; et qu’ainsi, de tous côtés, il appartenait à la Petite Robe, — on distinguait alors la Petite Robe de la Moyenne, et la Moyenne de la Grande, — c’est qu’il importe de rappeler ses origines bourgeoises, et par elles, en même temps, les affinités natives de l’esprit ou du talent de ce fils de greffier avec le génie de Molière, le fils du tapissier Poquelin, et l’esprit de Voltaire, le fils du notaire Arouet. Avant tout et par-dessus tout, de race et d’éducation, c’est un bourgeois de Paris que Nicolas. Comme Molière, comme Voltaire, né dans l’aisance, il a aimé la vie large, abondante et saine, une table bien servie, l’argenterie de poids, les tableaux. Comme eux, il est