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maladies toutes physiques, à des cas de monomanie, d’atavisme, etc. De même que, pendant une certaine période, nos philanthropes ne semblaient préoccupés que de faire abolir la peine de mort et d’exercer leur philanthropie à l’égard des assassins, de même les criminalistes de la nouvelle école semblent n’avoir en tête que d’excuser les malfaiteurs, de justifier d’avance certains arrêts bizarres des jurys, de les porter à l’acquittement de tous les prétendus monomanes. Vous êtes vertueux, — effet de l’hérédité ; vous êtes criminel, — hérédité. L’explication est par trop « simpliste, » même au point de vue du déterminisme ; il n’est ni certain, ni probable que tous les ressorts déterminans du crime soient des ressorts purement pathologiques et relevant de la médecine, ou qu’ils soient tous des héritages de famille. Un déterminisme mieux entendu et plus large n’a rien d’incompatible avec une certaine responsabilité devant soi et devant autrui. Là encore les élémens esthétiques jouent un rôle trop méconnu. Si on considère le bien sous l’aspect du beau, le mal sous l’aspect du laid, que signifie la responsabilité devant soi ? — Elle veut dire que l’être psychologiquement laid doit avoir le sentiment de sa laideur, la souffrance de sa laideur, si cette souffrance peut elle-même l’embellir. C’est donc au fond une question d’utilité. Quand il s’agit de la laideur purement physique, il est irrationnel et inutile que la souffrance en résulte, puisque l’être physiquement laid ne peut absolument rien sur lui-même par le sentiment douloureux de sa laideur. Ce serait simplement ajouter un second mal à un premier. Au contraire, il est rationnel et utile que la laideur mentale se sente pour se transformer elle-même : il est beau alors de sentir sa laideur, parce que cette laideur redevient déjà beauté en souffrant d’être laideur. Un nain moral grandit par la seule conscience de sa petitesse ; un monstre moral conscient de sa monstruosité est en chemin vers le type de l’espèce. La conscience est un miroir qui réagit, qui corrige les traits qu’il reflète. C’est là la responsabilité esthétique, la sanction esthétique, qui, en dernière analyse, se justifie au nom du bonheur même ; car, si la laideur mentale doit être malheureuse de soi, c’est pour pouvoir redevenir heureuse. Aussi, même indépendamment de toute idée d’une moralité absolue, il y aura toujours une harmonie rationnelle et sentimentale à la fois entre perfection intérieure et félicité, imperfection intérieure et souffrance, santé intérieure et joie, maladie morale et peine, car la peine est ici le premier des remèdes, et la satisfaction intime du beau excite à persévérer dans la voie des « belles actions. »

Mais la responsabilité devant autrui, comment l’expliquerez-vous ?