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partis pour les institutions de la France et de l’Angleterre, de la méconnaissance de la Prusse et des institutions prussiennes, du seul État allemand qui depuis la paix de Westphalie ait fait en Allemagne quelque chose de grand, du seul qui l’ait protégée contre les Suédois, les Polonais, les Danois, les Français, les Autrichiens, du seul qui soit capable de trancher avec sa bonne épée le nœud gordien de l’ancienne confédération, et de former à son image l’empire allemand.

Comme preuve décisive, M. de Treitschke a cherché dans l’histoire des autres peuples la justification de ses vues sur l’Etat. Un de ses essais a pour titre : Efforts des peuples divisés vers l’unité. Un long chapitre est consacré à l’Italie (1869). Pour que l’Italie pût devenir une, il a fallu d’abord le réveil du sentiment civique ; il faut que les meilleurs d’entre les Italiens cessent d’attribuer plus d’importance aux débuts d’une danseuse ou d’une prima donna qu’aux affaires de l’État, qu’ils sacrifient le dilettantisme et la poésie à la prose du travail économique, qu’ils comprennent le mot de Cobden, contemplant du Monte-Mario les ruines majestueuses de Rome : « tout cela ne sert plus à rien. » Ce commencement d’esprit public n’aurait pas suffi si l’Italie n’avait disposé de l’instrument nécessaire à son unité, l’état du Piémont. Entouré de voisins assoupis ou asservis, ce petit peuple, comme la Prusse, possédait deux biens inappréciables, une armée disciplinée et une royauté nationale. L’esprit et l’instrument étant donnés, l’homme de génie s’est rencontré. En Cavour, M. de Treitschke trouve réunies les qualités du conducteur de peuples. Nulle éducation littéraire ; le grand patriote italien n’a jamais lu Dante et l’Arioste : il disait qu’il lui était plus facile d’accomplir l’unité de l’Italie que de composer un sonnet. C’est un esprit lucide, plein de bon sens, pénétré de réalité, un profond connaisseur des hommes et qui sait agir sur eux : une vie pratique d’officier, d’économiste, de propriétaire rural, l’a préparé à son œuvre. Il est partisan de la monarchie par amour de la liberté, persuadé que la république est impraticable dans les grands États île l’Europe, car elle suppose un degré d’éducation des masses qu’il faudrait d’abord atteindre. Entre un Cavour et un Bismarck le parallèle est en quelque sorte classique : M. de Treitschke s’y est dérobé. Il fait trop bon marché, ce nous semble, de tout ce qui pourrait affaiblir sa thèse, de l’action et de la poussée des forces révolutionnaires, que Cavour sut enrôler, comme aussi du concours que les armes françaises ont apporté à l’œuvre du Piémont. La conclusion de son étude tire des circonstances présentes un sens singulièrement ironique : « Alliés par la communauté du sort avec les Allemands, alliés des Français par le sang, les italiens plus qu’aucune autre nation sont capables de