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droit anglais, qu’il a mal compris, et de la théorie de Rousseau sur la souveraineté du peuple. Or les deux principes de la souveraineté du peuple et de la séparation des pouvoir sont évidemment inconciliables, et le résultat l’a prouvé : « On croyait avoir achevé d’édifier la liberté politique, quand une fois on oui séparé le pouvoir législatif de l’exécutif et du judiciaire, et donné à chaque citoyen le droit de nommer des députés. Ces exigences turent remplies dans une pleine mesure, et quel but a été atteint ? Le plus affreux despotisme que l’Europe ait jamais vu. » Ce despotisme a conduit aux institutions napoléoniennes qui pèsent sur toute notre histoire. L’obstacle, en effet, et la contradiction auxquels tous les gouvernemens qui se sont succédé en France se sont heurtés, ç’a été la tentative d’allier et de fondre deux choses inconciliables, l’état policier de Napoléon, qui a survécu à l’empire et dure encore aujourd’hui (c’est-à-dire une bureaucratie omnipotente, sous laquelle les administrés sont en tutelle et en servage), avec des institutions parlementaires. C’est mettre une façade de liberté en haut et le despotisme en bas. La France n’a jamais connu une libre administration, comme l’Angleterre, ou comme celle que le baron de Stein a organisée en Prusse. L’erreur fondamentale des Français. c’est d’imaginer qu’il suffit d’inscrire la liberté dans les constitutions politiques, tandis qu’elle réside en réalité dans le self-government, dans l’administration locale.

Ces antinomies de l’État français découlent, d’après M. de Treitschke, des contradictions mêmes du caractère français. Les institutions ne peuvent être sans dommage modifiées plus vite que le tempérament national. Or ce peuple qui se vante d’aimer la liberté n’a jamais su conquérir la plus précieuse de toutes, la liberté de conscience ; les Français passent d’une soumission aveugle à une frivolité coupable. Enthousiastes d’affranchissement politique, ils n’ont jamais su se discipliner dans la liberté, car il leur manque le goût de l’ordre, le respect des droits de chacun. Leur passion de l’égalité les a précipités dans le césarisme, qui leur a procuré l’égal esclavage de tous. Mais ils ont l’esprit trop remuant, trop de noblesse aussi pour trouver la tranquillité sous un gouvernement despotique, qui n’a même pas l’avantage de leur assurer la force au dehors. La France n’est pas une nation militaire : le patriotisme peut s’y élever jusqu’à l’héroïsme, mais il y règne une aversion trop décidée pour la tâche silencieuse de chaque jour. Elle ne peut se passer d’une main forte, et elle a perdu les traditions héréditaires de la monarchie légale.

C’est dans les mœurs privées qu’il faut chercher l’origine des mœurs publiques. M. de Treitschke cite les jugemens que les plus